Vendredi 22 novembre 2024

Politique

Aimé-Parfait Niyonkuru : « Inspirons-nous de ‘’Ngoma ya Sacega’’ ! »

01/08/2023 8
Aimé-Parfait Niyonkuru : « Inspirons-nous de ‘’Ngoma ya Sacega’’ ! »

Pour ce juriste, docteur en droit judiciaire, le principal obstacle à l’indépendance du pouvoir judiciaire réside dans l’absence des garanties légales et institutionnelles de cette indépendance.

Pour certains juristes, la nomination des magistrats par le pouvoir exécutif reflète sa mainmise sur le pouvoir judiciaire. Quel est votre commentaire ?

D’emblée, je précise que je ne fais pas partie de ces juristes, qui infèrent de la seule participation du pouvoir exécutif dans la nomination des magistrats ou dans leur promotion à des postes de responsabilité dans la magistrature, comme une mainmise de l’Exécutif sur le Judiciaire.

Pourquoi ?

En soi, la nomination des juges par ou sur l’avis de l’Exécutif ne suffit pas pour conclure que ces juges dépendent de l’Exécutif.  La Cour européenne des droits de l’Homme a rappelé « que la seule nomination de magistrats par un membre de l’exécutif, mais aussi par le Parlement ne crée pas pour autant une dépendance à leur égard si une fois nommés, ces magistrats ne reçoivent ni pressions ni instructions dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles », mais qu’ils sont libres de toute pression ou influence lorsqu’ils exercent leur rôle juridictionnel. Ce qui est donc important, c’est l’intégrité, la force de caractère du juge nommé, qui doit, en permettant d’emprunter les termes attribués à Daniel Soulez- Larivière : « avoir le pouvoir et la force de mordre la main qui l’a bénie ».

Dans le cas du Burundi ?

Au regard du niveau de la pratique de l’Etat de droit, je doute de l’existence d’un nombre important de juges assez audacieux pour résister aux pressions ou instructions des membres de l’Exécutif. En particulier ceux qui disposent des ressorts pour exercer des représailles en matière de gestion de carrière. Il faut considérer le juge, non comme un héros, mais juste comme une personne ordinaire qui rêve, légitimement, d’une évolution dans la carrière ; un homme qui a peur des représailles professionnelles contre lesquelles il est désarmé, en fait.

Et le Procureur général de la République ?

Je souligne, au passage, qu’il n’est pas un juge et que l’exigence d’indépendance à l’égard de l’Exécutif n’est pas requise au même niveau que pour le juge. En réalité, le ministère public, dont le Procureur général de la République est le représentant au sommet, relève davantage de l’Exécutif que du pouvoir judiciaire. En sollicitant l’approbation du Sénat, le président de la République a procédé conformément à la Constitution (article 192 (9)).

Certains trouvent que les juges et les magistrats devraient être nommés et cotés par leurs pairs. Est-ce votre avis ?

Permettez-moi de lever, d’entrée de jeu, une confusion entretenue dans l’opinion chez les non-juristes. Au Burundi, le vocable « magistrat » est un terme générique qui désigne, à la fois, le magistrat du parquet (ou debout) et le magistrat du siège ou juge. Alors que tout juge est magistrat, tout magistrat n’est pas juge. En l’occurrence, les magistrats du parquet, y compris leur « patron », le Procureur général de la République, ne sont pas des juges. Ce qui n’enlève rien à leur statut dans la société, qui leur voue une crainte respectueuse.

Cette mise au point faite, je reviens à votre question sur le mode de nomination et la notation des juges. C’est vrai que dans certains pays, comme dans le Rwanda voisin, le recrutement des juges est une compétence de l’administration des tribunaux. Mais, dans de nombreux autres, y compris dans les vieilles démocraties où la culture de l’Etat de droit est enracinée, les juges sont désignés par le pouvoir exécutif. Ce n’est pas tant l’auteur de la nomination du juge qui est déterminant, par rapport à la question de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Mais bien la gestion de la carrière qui suit cette nomination.

Comment ?

Le pouvoir judiciaire n’est pas indépendant dès lors que les juges sont révoqués par l’exécutif, qu’ils sont amovibles et qu’il existe entre eux et les autorités qui les ont nommés ou ont donné un avis en faveur de leur nomination, un lien de subordination hiérarchique. Ce qui est bien le cas au Burundi, où la carrière du juge est gérée, de bout en bout, depuis le recrutement jusqu’à la fin de la carrière, en passant par la nomination à titre définitif, la notation, l’avancement, la promotion à des postes de responsabilité, l’action disciplinaire par l’Exécutif (le ministre de la Justice et le président de la République, selon le cas). Dans ces conditions, le juge est à la merci de ces autorités. Il ne peut, sans compromettre sa carrière, leur rien refuser.

Quel est l’avantage s’ils sont désignés par leurs pairs ?

J’espère que vous évoquez l’hypothèse de recrutement des juges par l’administration des tribunaux. Cela participerait à la garantie de leur indépendance à l’égard de l’Exécutif. Au-delà de l’auteur de la nomination, ce qui est le plus important, c’est la transparence et le caractère objectif des critères de recrutement, un processus qui doit garantir le recrutement des meilleurs candidats. Le recrutement sur la base du pistonnage, du népotisme, du militantisme ou du clientélisme partisan, est très nuisible pour la Justice. Le juge ainsi recruté contracte envers son (ses) bienfaiteur (s) une éternelle dette de reconnaissance. Il devient, pour son (ses) bienfaiteur(s) et son (leur) réseau(x), un serviteur, un otage, une sorte de cheval de Troie au sein de la magistrature. Il intériorise le pouvoir des hommes, qu’il élève au-dessus des lois de la République et des valeurs.

A l’inverse, un juge recruté sur mérite a confiance en soi. Il ne doit rien à personne et est en bonne position, si les autres garanties (inamovibilité, gestion de la carrière par l’administration des tribunaux, un salaire le met à l’abri de la précarité) pour repousser les sollicitations vicieuses, d’où qu’elles émanent.

D’après vous, quels sont les obstacles à l’indépendance de la magistrature au Burundi ?

Je me permets une autre précision. Dans son écrasante majorité, l’opinion burundaise confond la magistrature et le pouvoir judiciaire et prend pour équivalentes les expressions « indépendance de la magistrature » et « indépendance du pouvoir judiciaire ». Lorsque la Constitution qui proclame que « le pouvoir judiciaire est (…) indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif » et que « dans l’exercice de ses fonctions, le juge n’est soumis qu’à la Constitution et à la loi », les magistrats du parquet ne sont pas visés.

Je pars donc de la supposition que vous voulez avoir mon avis sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire ou des tribunaux au Burundi. Pour moi, le principal obstacle à l’indépendance du pouvoir judiciaire réside dans l’absence des garanties légales et institutionnelles de cette indépendance.

Expliquez-nous

Au lieu de tendre à garantir aux juges davantage d’indépendance, l’évolution normative récente tend à le soumettre davantage à l’Exécutif. L’entrée en vigueur de la loi organique n°1/02 du 23 janvier 2021 régissant l’organisation et le fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) constitue la dernière marche (en date) de cette dynamique.

Je ne comprends pas

A travers le Conseil Supérieur de la Magistrature, cette loi consacre une suprématie et un contrôle du pouvoir politique sur le pouvoir judiciaire. Il ne reste à la Cour Suprême que le nom, puisque la qualité de ses décisions peut faire l’objet d’un contrôle du CSM.  L’analyse de cette loi montre une dynamique vers un pouvoir judiciaire du Conseil Supérieur de la Magistrature. Une dynamique, manifestement en porte-à-faux avec la séparation des pouvoirs et l’indépendance du pouvoir Judicaire, clés de voûte ou caractéristiques d’un Etat de droit.

Les autres obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire résident dans un statut qui place les juges dans une situation d’obligés vis-à-vis de l’Exécutif, de qui ils doivent le recrutement et espèrent une bonne évolution dans la carrière.

Quid du Conseil Supérieur de la Magistrature ?

Un arbitre déguisé en joueur. D’après la Constitution (article 215) « Le Conseil Supérieur de la Magistrature veille à la bonne administration de la Justice. Il est le garant de l’indépendance des magistrats du siège dans l’exercice de leurs fonctions ».  Mais au regard de sa composition, le Conseil Supérieur de la Magistrature peut, au contraire, être un instrument de la machine exécutive dans l’assujettissement du juge. La présence, parmi les membres du CSM de deux personnalités éminentes de l’Exécutif, en l’occurrence, le président de la République et le ministre de la Justice n’est pas rassurante lorsqu’il est question de garantir le pouvoir judiciaire contre les immixtions du pouvoir exécutif. Avec Lyon-Caen, l’on comprend aisément la difficulté : « Comment celui qui dirige l’exécutif pourrait protéger le judiciaire des empiètements que le premier a tendance, par la nature des choses, à exercer sur le second ? ».

Ailleurs, ça se passe comment ?

Au Kenya, au Rwanda et en Tanzanie, le Conseil Supérieur de la Magistrature ou Conseil Supérieur de la Justice est présidé par le Chief Justice, l’équivalent du Président de la Cour suprême. En Ouganda, le président et le vice-président du Conseil Supérieur de la Justice sont des personnes qui ont les qualifications requises pour être nommées juges à la Cour suprême, autres que le Président de la Cour suprême, le Vice- Président de la Cour suprême et le Juge principal. En République Démocratique du Congo, le Conseil Supérieur de la Magistrature est composé uniquement de magistrats, y compris des magistrats du parquet et est de droit présidé par le Président de la Cour constitutionnelle.

Que faut-il pour qu’il y ait une véritable indépendance de la Justice ?

Puiser dans notre culture et s’inspirer (pas recopier) des leçons d’ailleurs. Ngoma ya Sacega ou l’exemple d’un juge d’une intégrité héroïque. Si la Justice va mal, c’est que les juges ne sont pas compétents, ne sont pas intègres, bref ne sont pas à la hauteur de leurs responsabilités. Ceux qui les ont recrutés, qui les ont promus, ont une dette envers les justiciables, envers les Burundais. Tout ce que je souhaite, c’est que la faute (pas l’erreur), ne se reproduise plus. Sinon, les mêmes causes produiront les mêmes effets.

Ici, je m’adresse, très respectueusement, au président de la République et au ministre de la Justice. La Justice de demain sera le reflet des nominations et des promotions d’aujourd’hui. Des juristes compétents et intègres, qui savent lire et interpréter correctement le droit existent dans notre pays. Où sont les brillants étudiants en droit, qui n’ont jamais fait de deuxième session ? Qui ont emporté des prix de plaidoirie ? Qui n’ont jamais triché durant tout leur parcours scolaire ? Dont tout le monde (qui les connaît) dit du bien ? Sont-ils visibles dans la profession comme ils étaient remarquables dans les auditoires et faisaient la fierté des professeurs et des jaloux parmi les camarades de classe ? Sont-ils des chefs de juridictions ? Des responsables de parquets ? Leur assiduité qui forçait l’admiration des condisciples a-t-elle payé ? Et si, ceci, expliquait cela ? Umuhoro turondera tuwufise mu minwe.

Vient ensuite le cadre légal. Il doit être conçu de telle manière qu’il comporte des garanties suffisantes pour qu’un juge (compétent et intègre) soit protégé contre les immixtions des autorités des pouvoirs exécutif et législatif. Les puissants d’aujourd’hui (mieux dit, ceux qui président aux destinées du Burundi) doivent particulièrement faire attention. C’est la Justice qu’ils construisent aujourd’hui qu’ils laisseront quand ils passeront le témoin. Si c’est une Justice sous cloche, qui obéit à leurs ordres, des juges qui font primer la loi de l’autorité sur l’autorité de la loi, ils (ceux qui président aujourd’hui aux destinées du Burundi) devraient bien s’en inquiéter, au lieu de s’en réjouir.

Enfin, l’indépendance du juge ne s’accommode pas de la précarité financière. Compte tenu des enjeux, il est indispensable d’accorder au juge un salaire décent. Saint Thomas d’Aquin aurait dit qu’«il faut un minimum de bien-être (confort) pour pratiquer la vertu ». J’y souscris.

Propos recueillis par Fabrice Manirakiza

*Aimé-Parfait Niyonkuru est chercheur invité à l’Université Paris Nanterre et chercheur associé à Arnold Bergstraesser-Institut de l’Université de Freiburg. Docteur en droit judiciaire (KU Leuven, 2016), il est également titulaire d’un Diplôme d’Etudes Approfondies (Université Libre de Bruxelles, 2007) et d’un Diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées en droits de l’Homme et résolution pacifique des conflits. Il est auteur de plusieurs publications dont trois livres : Le droit d’accès au Juge au Burundi : Approche juridico-institutionnelle (Nomos, 2020), Access to Justice Beyond the State Courts : A solution to the Crisis of Justice in Burundi (Lit,2021) et Droit judiciaire burundais : Institutions judiciaires, gens et autres acteurs de (la) Justice (Lit,2022).

Forum des lecteurs d'Iwacu

8 réactions
  1. Gilbert Niyonkuru

    Un ancien a dit: « La plus grande gloire d’un maître, c’est de former un maître plus compétent que lui ». Je suis donc fier de cet intellectuel qui fut un de mes jeunes élèves.

    • Niyonkuru

      « Igitúgu kirakúra ntígisūmbá izosí ». En paraphrasant Bernard de Chartres (Bernardus Carnotensis), je ne serais qu’un nain juché sur les épaules de géants (mes maîtres, parmi lesquel vous comptez).Merci cher professeur.

    • Jules Cesar

      Mais ce n’est que quand l’élève est prêt que le maître apparaît. Donc, vous l’ancien prof, et votre ancien élève, formez un binôme parfait.

  2. Muda

    Pardon pour avoir mal écrit votre nom M. Niyonkuru.

  3. Muda

    Je vous décerne la mention AAA M. Niyomkuru. Pourrriez-vous rappeler ce qu’est Ngoma ya Sacega?

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