L’économie burundaise est en berne. Les prix des denrées de première nécessité montent en flèche. Pourtant, dans leurs messages, les autorités burundaises estiment que le Burundi peut s’autosuffire. Ce qui est loin des points de vue des experts économistes et des défenseurs des droits de l’Homme.
Lors de la clôture de la Journée du combattant, le président Evariste Ndayishimiye a déclaré : « Il y a des grognes consécutives du fait que le Burundi ne bénéficie plus d’aides. Nous devons savoir que nous sommes appelés à s’autosuffire. Les histoires des aides, oublions ».
Le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération au Développement, Albert Shingiro, ajoute une autre couche : « Ce changement de paradigme est arrivé à point nommé. Soixante-deux ans après son indépendance politique, le Burundi ne croit plus à la philanthropie ou l’aide pour son développement socio-économique, car l’expérience a déjà prouvé qu’aucun pays au monde ne s’est développé sur base de l’aide ou de la philanthropie. Les Burundais croient plutôt au travail acharné pour créer de la richesse et aux partenariats stratégiques de coopération réciproquement bénéfique ».
Est-ce le moment de bomber le torse ?
En avril 2023, Gitega et le Fonds monétaire international (FMI) sont parvenus à un accord sur un nouveau programme de 40 mois au titre de la Facilité élargie de crédit (FEC), pour une enveloppe d’environ 261,7 millions USD. Pour nombre d’économistes, c’était une bouffée d’oxygène, mais aussi un catalyseur pour les autres financements. Cet espoir a duré le temps d’une rosée.
Plus de 60 millions d’USD ont été décaissés par le FMI, mais plus rien. La deuxième tranche qui devait tomber en novembre au plus tard en décembre est toujours dans les caisses du FMI. Selon des sources au sein du FMI, certains engagements de la part du gouvernement du Burundi n’ont pas été respectés.
Interrogé, le ministre des Finances rétorque : « Il y a un travail en cours. »
Pour l’économiste André Nikwigize, le langage d’Albert Shingiro concernant l’aide est un discours politique qui est tenu chaque fois que les partenaires réduisent ou suspendent l’aide. « Le président Pierre Nkurunziza avait fait de même en 2016 lorsque l’Union européenne et les autres bailleurs avaient décidé de prendre des sanctions contre le Burundi. Il disait que le Burundi est devenu indépendant économiquement et que l’aide extérieure ne représente plus que 30% du budget. »
Selon lui, le Burundi est confronté au même problème. Concernant la Facilité Elargie de Crédit (FEC), André Nikwigize trouve que la raison est que le gouvernement burundais ne se décide pas encore à appliquer les mesures de stabilisation prévues dans le programme. « Actuellement, c’est l’impasse financière. »
Réactions
Gabriel Rufyiri : « Pour aller de l’avant, il y a des principes à respecter »
« Cet accord a été conclu entre le gouvernement du Burundi et la FMI dans le but, d’abord, de faciliter la disponibilité des devises qui sont aujourd’hui introuvables au Burundi, vous les voyez les conséquences, elles sont là. La deuxième chose de cet accord est d’engager des réformes en matière budgétaire, économique et financière. Donc, ces deux points principaux sont là juste pour stabiliser l’économie burundaise. D’abord, le processus de déblocage de ce fonds doit obéir à certains principes ».
D’après le président de l’Olucome, le premier principe est le déblocage de ces fonds. Selon lui, il doit y avoir d’abord une mission de revue qui vient de Washington pour évaluer les premiers six mois par rapport aux attentes ou aux conclusions qui devraient être négociées et conclues entre le bailleur, la FMI et le gouvernement du Burundi. Il rappelle qu’il y a une mission qui est venue ici : « Je pense qu’il y a plus de trois missions qui sont déjà venues ».
Le président de l’Olucome fait remarquer que cette première revue a permis le déblocage de 60 millions d’USD. « Selon les informations à ma disposition, les dernières missions n’ont pas été concluantes ».
Selon lui, le gouvernement aurait refusé plusieurs réformes au niveau budgétaire et financier qui doivent être prises. Entre autres, le rapprochement des taux de change : « Donc le taux de change des devises sur le marché noir diffère du taux officiel. Aujourd’hui, le taux officiel d’un 1 USD est autour de 3 000 BIF, mais au niveau du marché parallèle, c’est autour de 8 000 BIF. Donc cet écart est inconcevable. C’est inacceptable. Alors, à ce niveau, selon les informations à notre disposition, il n’y a pas eu de négociations. Et ces dernières n’ont pas été concluantes. Normalement, chaque 6 mois, selon l’accord, il doit y avoir un déblocage de 60 millions de dollars ».
Pour cet activiste, deux missions qui ont été menées n’ont pas été concluantes et il se demande si la balle se trouve dans le camp du gouvernement du Burundi.
« Vous savez, on a besoin de 30 millions d’USD par mois pour approvisionner le pays en carburant. Et nous, nous recevons 60 millions de dollars. Certes, c’est pour le carburant, il y a d’autres produits comme les fertilisants, les médicaments, etc. C’est comme du paracétamol pour quelqu’un qui a de la malaria. Mais quand même, au moins, on peut dire qu’il peut y avoir une petite accalmie ».
Il trouve que le gouvernement devrait expliquer aux Burundais pourquoi la situation est telle qu’elle est aujourd’hui et pourquoi il n’y a pas eu de conclusion.
Pour ce qui est des récentes déclarations du Chef de l’Etat lors de la Journée du combattant, Gabriel Rufyiri qualifie cela de message politique : « C’est un message politique qui ne peut pas être scientifiquement et techiquement prouvé . Le Burundi, c’est un pays pauvre. Economiquement, c’est clair et c’est visible. Pour qu’on puisse aller de l’avant, il y a des principes qui doivent être respectés pour que le pays puisse se développer . D’abord, le premier principe est la stabilisation de l’administration. Le deuxième principe, c’est d’avoir une administration efficace, qui sait bien négocier avec un partenaire, qui sait bien organiser et achever des activités à sa charge ».
Le président de l’Olucome est d’accord, d’un côté, avec le président de la République et le ministre Albert Shingiro. D’après lui, sans un leadership fort, les aides ne peuvent rien. « Cette aide est donnée si les principes de gouvernance politique, économique, judiciaire et administrative sont respectés. Si ces principes ne sont pas respectés, les appuis budgétaires ne sont pas non plus à espérer ».
Il rappelle que le 5 et le 6 décembre 2024, le Burundi organise la Table ronde des bailleurs pour financer la vision 2040-2060. Et de se poser la question si ce sont seuls les Burundais qui vont être là : « Ce sont des Blancs, ce sont des Chinois, ce sont des Russes, ce sont des partenaires du Burundi qui viendront là. Ce message est un message politique, qui ne convainc pas. On dirait qu’on parle à des gens qui n’ont pas une capacité d’analyse pour savoir que le bailleur est nécessaire ».
Faustin Ndikumana : « Nous avons encore besoin d’appui »
« Normalement, ces discours ont toujours été tenus. Mais, pour venir à se passer de l’aide publique au développement, ça se prépare : il faut avoir atteint le stade d’un pays à revenu intermédiaire », réagit Faustin Ndikumana.
Le directeur national de l’organisation Paroles et actions pour le réveil des consciences et le changement des mentalités (Parcem) rappelle que la balance commerciale du Burundi est déficitaire à plus de 90%. Sur ce, on devrait chercher plutôt comment l’équilibrer.
Il montre que l’aide publique au développement étant toujours parmi les ressources substantielles du pays, même une enquête récente de la Banque africaine de développement (BAD) a prouvé que le Burundi avait un besoin de plus de 6 milliards de dollars dans le secteur d’infrastructures pour booster sa croissance économique. « Maintenant, on table même sur 10 milliards. Je crois qu’un tel langage, quand il est tenu, fait fuir les conditions de vie de la population actuelle. Sinon, pourquoi va-t-on organiser la table des partenaires extérieurs en décembre de cette année ?».
Par ailleurs, souligne toujours Faustin Ndikumana, le Burundi est encore éligible au guichet des dons de la Banque mondiale. Ainsi, dans le contexte socio-économique actuel, il n’y a pas d’alternatives. « Nous avons encore besoin d’appui et on est éligible sur les guichets de dons et d’aides ».
D’ailleurs, le directeur national de Parcem met le gouvernement devant ses responsabilités. « Au lieu de penser à se passer de l’aide, il faut plutôt penser à garder des partenaires et afficher une crédibilité. Il faut renforcer la bonne gouvernance, la gestion transparente, la lutte contre la corruption, sinon, même les pays en voie de développement, comme l’Egypte, bénéficient parfois des facilités de crédit de forme monétaire internationale ».
Faustin Ndikumana suggère au gouvernement burundais de garder un profil bas. Sinon, tous les plans que le Burundi s’est déjà dotés, à commencer par la Vision 2040-2060, ont besoin d’appuis extérieurs pour leur mise en œuvre.
Aloys Baricako : « On a encore besoin d’être aidé. »
Concernant les aides, souligne le président du parti Ranac, je soutiens le président. « Si on s’autosuffit, ça va. Ça ne vaut pas la peine d’aller chercher des aides. Mais, pourquoi quelqu’un qui est en train de s’enfoncer dans un fossé très profond, on lui tend une corde pour le soulever, mais il ne veut pas ».
Aloys Baricako ne comprend pas les raisons qui expliquent qu’on n’a pas besoins d’aides. « Ce discours a été développé sous la logique de la souveraineté. Mais, cette souveraineté est relative. On n’a pas de devises aujourd’hui, je pense que le pays a besoin d’aides ».
Par ailleurs, explique toujours le président du Ranac, il est trop tôt de dire que le Burundi peut avoir des produits d’exportation pour faire rentrer des devises. Sinon, ce problème de carburant qui persiste, cette flambée des prix, ils sont dus à quoi ? Probablement à l’assèchement des devises. « On a encore besoin d’être aidé, on n’a besoin d’amis. Seulement, il faut une certaine rationalité pour les identifier. Sinon, que nos autorités nous montrent ce secret qui les pousse à nous dire que nous n’avons pas besoin d’aides. Peut-être qu’il y a quelque part un stock stratégique en devises ».
Sinon, c’est normal de contracter une aide si on ne s’autosuffit pas. « Cela ne détruit à rien le pays. On a toujours dit que les aides ne développent pas un pays. Mais, si elles sont mal gérées ou détournées, vous voulez quel(s) résultat(s) ? Seulement il faut bien les gérer ».
Les aides sont justement nécessaires pour nous mettre sur les rails du développement et pouvoir ainsi avancer. Si on parvenait à maitriser l’inflation, si on inversait la tendance de la balance commerciale, on pourrait commencer à dire que l’on n’a pas besoin d’aides.
Agathon Rwasa : « Il faut être réaliste. »
Le député Agathon Rwasa soutient qu’il faut être réaliste pour ce qui est de l’aide ou les appuis financiers. « Sans une bonne gestion, un leadership digne de ce nom et prima de l’Etat sur le parti de l’aigle, on n’entendra que des discours démagogiques ».
Abdoul Kassim : « Le multilatéralisme mondial oblige notre pays à être en relation permanente avec les autres Etats »
« Il est de notoriété publique que personne, même très puissant, ne peut vivre isolé des autres. Tous les pays du monde sont interdépendants. Le multilatéralisme mondial oblige notre pays à être en relation permanente avec les autres Etats, comme en témoigne l’adhésion du Burundi aux organisations régionales et internationales », réagit le président du parti UPD-Zigamibanga.
Selon Abdoul Kassim, renoncer à l’aide ou aux appuis multiformes revient à dire que le Burundi se suffit à lui seul. « Ce qui n’est pas le cas. Par ailleurs nous voyons un peu partout dans le pays des projets en cours sous le financement des partenaires internationaux divers. »
Gaspard Kobako : « Pourvu que cette aide ne soit pas détournée »
Pour le président de l’Alliance nationale pour la Démocratie (AND), cen’est pas encore le moment de renoncer à l’idée de l’aide ou d’appui financier dans le contexte socio-économique actuel. « Pourvu que cette aide ne soit pas détournée, mais soit orientée dans le sens du développement. Sans cela, le discours risquerait une fois de plus d’être un leurre. Même l’Europe a bénéficié du plan Marshall pour se relever alors qu’elle avait été détruite par la Seconde Guerre mondiale. »
Pour lui, il faut veiller à ce que le Burundi ne tombe pas en faillite, parce que beaucoup d’indicateurs sont au rouge : le manque endémique du carburant, la flambée et la rareté des produits de première nécessité, un système éducatif à genoux, etc.
Jean de Dieu Mutabazi : « Il est préférable de privilégier des échanges win-win »
« Cette question d’aide au développement renvoie à la notion de donateur et de bénéficiaire. Or, nous ne devons pas oublier que si votre main reçoit l’aide, la main occidentale qui va donner va non seulement donner, mais c’est elle qui va ordonner, c’est-à-dire décider. Non seulement sur l’utilisation de cette aide, mais aussi sur l’utilisation des richesses ou des ressources naturelles du pays bénéficiaire », analyse le président du parti Radebu.
Comme ressources naturelles, M. Mutabazi cite les produits agricoles comme le café ou le thé ou les ressources minières comme l’or, le coltan, la cassitérite, les terres rares ou le Nickel de Musongati.
Jean de Dieu Mutabazi trouve qu’aucun pays ne s’est jamais développé grâce à ce genre d’aide. « Si certains pays comme la Corée du Sud, le Botswana, le Singapour et d’autres, ont émergé et se sont développés, c’est grâce à leurs propres efforts, leurs propres ressources, leur propre capital humain. Mais aussi, dans le respect des principes de la bonne gouvernance. N’oublions pas également que les pays du Nord utilisent également l’instrument de la dette comme instrument de domination, notamment pour garder une main mise sur les ressources naturelles des pays bénéficiaires. »
Toutefois, nuance-t-il, il ne serait pas sage ou sensé, de la part d’un Etat du Sud ou d’un gouvernement du Sud, de refuser une aide financière directe en cas de déficit budgétaire, par exemple.
« Quand cette aide est proposée par un bailleur extérieur de bonne foi et dans des conditions bien négociées par le pays bénéficiaire, ainsi que dans des conditions fixées par le même pays bénéficiaire. C’est ainsi qu’aujourd’hui, sans pour autant rejeter en bloc toute forme d’aide, il est préférable que les pays du Sud privilégient des échanges win-win ou gagnant-gagnant », explique-t-il.
Et de conclure : « Le multilatéralisme mondial oblige notre pays à être en relation permanente avec les autres Etats dans des conditions de respect mutuel des deux parties, en développant un partenariat qui respecte l’indépendance et la souveraineté de chacune des parties. Une aide qui viendrait sous cette bannière d’un accord de financement qui respecte les termes de négociation des deux parties serait la bienvenue pour moi ».
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