Inondations, débordements des rivières, montée des eaux du lac Tanganyika, mouvements de terrain, avenues impraticables, … Tels sont quelques faits devenus récurrents au Burundi durant la saison pluvieuse. Aujourd’hui, c’est la saison sèche. Un moment que plus d’un jugent opportun pour initier des actions préventives afin de ne pas revivre les mêmes catastrophes climatiques.
Certaines victimes n’ont pas pu encore regagner leurs domiciles abandonnés suite à la montée des eaux du lac Tanganyika. Nous sommes par exemple à Kibenga, zone urbaine de Kinindo, en commune urbaine de Muha, au sud de la capitale économique Bujumbura. Beaucoup de familles ont été obligées de vider les lieux depuis le mois d’avril 2024. Elles sont là, en attente d’une solution. « Que voulez-vous qu’on vous dise ? Notre maison est encore sous les eaux. Nous avons peur qu’elle risque de s’écrouler totalement. Même si certains disent que le lac a reculé, sur le terrain, la réalité est tout autre », se lamente I.J, un père de famille qui se retrouve aujourd’hui locataire. Et de s’en prendre aux journalistes : « Quand on était en train de nager dans l’eau, presque tous les journalistes et tous les médias parlaient de cela. Quand les autorités venaient sur le terrain, plusieurs journalistes les accompagner mais, aujourd’hui, où sont-ils ? Notre situation a-t-elle changé ? Où vous attendez l’année prochaine pour revenir voir comment les gens sont dans la désolation ? »
Très remonté, cet homme trouve qu’ils sont abandonnés. Il indique que rien n’est en train d’être fait pour que les gens retournent chez eux.
Telle est aussi la situation à Gihosha-rural. Là, des éboulements détruisant des maisons et obligeant les gens à se déplacer y ont été rapportés. « Ici, durant la saison pluvieuse, c’est la peur. Des cas de glissements de terrain s’y observent souvent. Plusieurs maisons se sont déjà effondrées. D’autres sont au point de s’écrouler. Nous pensons qu’aujourd’hui, c’est le moment de prévenir, de construire un mur de soutènement afin de protéger nos habitations », plaide une femme de cette localité.
A la question des moyens colossaux qui sont nécessaires pour ce genre de travaux, elle est convaincue que si l’Etat y met son attention, cette somme ne peut pas manquer. « Oui, cela demande des moyens conséquents. Mais, le gouvernement a beaucoup de partenaires nationaux et internationaux pour l’appuyer. », estime-t-elle avant d’ajouter que s’il y a cette volonté, même des particuliers peuvent contribuer. « Quand le marché de Kamenge a pris feu ou lors de la construction du stade Intwari, j’ai entendu des gens qui ont donné des centaines de sacs de ciment, des millions de BIF, etc. Je ne pense pas qu’ils refuseraient de faire de même quand il s’agit de protéger la ville de Bujumbura dans laquelle ils vivent. », souligne-t-elle.
Cette mère de famille, la soixantaine, prévient que si de tels travaux ne sont pas initiés, ces glissements de terrain ne se limiteront pas à Gihosha-rural. « Ils vont s’étendre sur tout Mutanga Nord et même atteindre d’autres coins de la ville. Il est donc temps d’agir pour prévenir. »
Elle précise par ailleurs que ces glissements ont déjà causé des dégâts à Gasekebuye, Kuwinterekwa, Musaga dans les quartiers Kamesa, Gikoto, etc.
Gatumba, toujours dans l’attente des digues
Le prénommé Oscar, un habitant de Gatumba abonde dans le même sens. « Aujourd’hui, c’est la saison sèche. Pourquoi on ne peut pas initier des travaux de protection de notre zone ? Nous avons toujours demandé le curage de la rivière Rusizi et la construction des digues. Mais voilà, rien n’est encore fait. »
Il rejette toujours l’idée de délocalisation définitive de certains quartiers de Gatumba. « Allez voir ceux qui sont à Matyazo ? Comment vivent-ils ? Est-ce que leurs enfants étudient comme on le leur avait promis ? », s’interroge-t-il.
Il trouve qu’il faut profiter de la saison sèche pour faire des aménagements et des canalisations afin que l’année prochaine, les gens ne se retrouvent pas encore en situation de déplacés environnementaux.
La prénommée Annonciata, une habitante de Gatumba appelle aussi le gouvernement à initier des travaux de protection de la zone Gatumba. « Nous savons que le Burundi à lui seul ne peut pas avoir assez de moyens pour canaliser la rivière Rusizi. Mais, il peut s’asseoir avec la RDC et d’autres partenaires pour gérer cette situation. », fait-elle observer. Elle trouve aussi que la délocalisation n’est pas la meilleure solution. « Aujourd’hui, certaines personnes ont été amenées à Matyazo mais je vois d’autres qui sont en train de construire à Gatumba. C’est vraiment la confusion. La solution était de construire des digues et de faire le curage de la Rusizi. Et le moment opportun c’est pendant la saison sèche. », propose-t-elle.
Pour rappel, le 10 mai 2024, lors du lancement de l’opération de délocalisation des victimes des inondations de Gatumba, Anicet Nibaruta, directeur général de la Police de la protection civile et président de la Plateforme nationale de prévention des risques et gestion de catastrophes a bien précisé que les habitants de certains quartiers de Gatumba doivent être installés définitivement ailleurs.
« Quitter les actions d’urgence »
Pour les experts environnementaux ou en gestion des catastrophes, c’était le moment opportun de se poser une série de questions. « Qu’est-ce qu’on devrait faire pendant cette période d’accalmie après que les inondations, les glissements de terrain viennent de frapper durement le pays en causant beaucoup de dégâts ? Est-ce que la sécheresse qui s’annonce ne risque pas de compromettre la sécurité alimentaire ? », analyse professeur Jean-Marie Sabushimike, géomorphologue et expert en prévention des risques et gestion des catastrophes.
On devrait s’interroger sur les leçons à tirer des impacts des catastrophes climatiques qui viennent de s’abattre sur le Burundi. « Comme nous sommes conscients que les mêmes évènements risquent de revenir et probablement avec beaucoup plus d’intensité et de fréquence, il faut penser aux actions climatiques qu’on devrait engager pour le moment dans l’esprit de réduire les impacts des inondations, des glissements de terrain, des sécheresses. », fait-il savoir.
Il trouve que cette série de questions devrait être une préoccupation du gouvernement, de toutes les parties prenantes, du secteur privé, de la société civile ainsi que des communautés de base actrices et victimes à la fois de ces catastrophes climatiques.
Sabushimike déplore l’actuel silence sur ce genre de questions. « On dirait que rien ne s’est passé. Et c’est cela qui nous rappelle encore ce que c’est que l’absence de la culture du risque. », déplore-t-il.
Ce professeur d’universités rappelle qu’au Burundi il existe deux catégories de risques climatiques : les risques des catastrophes déclarées (inondations, sécheresse, etc.) ainsi que les risques des catastrophes potentiels surtout dans les Mirwa où on entend de temps en temps des glissements ou des méga glissements de terrain qui répondent à la définition du mot catastrophe. C’est l’exemple de ce qui s’est passé à Gabaniro en commune Mutumba de la province de Rumonge.
Pour sortir de cette situation, il trouve qu’il est important d’avoir une planification pour le développement résiliant face aux changements climatiques au Burundi. « On devrait planifier ces actions climatiques en fonction des zones qui ont été durement touchées. Il y a, dans un premier temps, l’interdiction encore une fois des constructions qui violent systématiquement les lois existantes notamment le Code de l’eau et le Code de l’environnement. Malheureusement, nous n’avons pas de schéma directeur d’aménagement du territoire et d’urbanisme. Toutefois, nous avons le Code de l’urbanisme qui s’applique tant bien que mal à la protection de l’environnement en termes d’urbanisme. », précise-t-il.
En plus de ces textes de lois, professeur Sabushimike suggère la mise en place des lois juridiquement contraignantes comme par exemple une loi pour la prévention des risques et la gestion des catastrophes. « Il faut des textes d’application de cette loi notamment des plans de prévention des risques dans chaque commune et surtout les communes qui ont été durement frappées par les inondations telles que Mukaza, Muha, Ntahangwa, Mutimbuzi, etc. C’est le moment d’y penser. », fait-il observer.
Puisqu’on est sûr de ces évènements, les lois devaient aider les pouvoirs publics ou les décideurs à avoir une cartographie cette fois-ci opérationnelle qui interdit des constructions dans les zones à très hauts risques par exemple à Gatumba. « On sait que les habitants de Gatumba continuent à construire. S’ils poursuivent les constructions dans cette zone, on aura toujours ce cortège de malheurs ; des personnes qui perdent leurs biens ; des personnes qui connaissent des problèmes de santé, de scolarisation de leurs enfants, etc. » Et de se résumer : « Il faut quitter ce que j’appelle la gestion des urgences pour mener des actions préventives. »
Mobiliser les fonds
Pour sa part, Tharcisse Ndayizeye, environnementaliste, le Burundi est dans une situation où il s’attaque aux urgences et non aux actions de développement à long terme. « Je ne sais pas si c’est par contrainte budgétaire ou financière mais on voit qu’ils agissent quand il y a déjà l’incident. Ils sont dans le curatif et pas dans le préventif. »
Il reconnaît que la prévention des catastrophes demande beaucoup de moyens mais il revient aux pouvoirs publics de mobiliser ces fonds. « J’ai peur qu’on soit de nouveau mobilisé quand la situation va se reproduire alors qu’il y avait moyen d’initier des actions préventives. »
S’exprimant sous anonymat, un autre expert environnementaliste reconnaît que quelques actions ont été initiées par les pouvoirs publics. Ici, il cite les travaux de protection de l’avenue du Japon, le long du lac Tanganyika, le curage de la rivière Kanyosha côté Kibenga dit rural, la stabilisation des rives de la rivière Ntahangwa côté Mutanga Sud, etc. Malheureusement, il déplore que ces travaux avancent à pas de tortue. Il estime que durant la saison sèche, beaucoup d’actions préventives des catastrophes devaient être initiées « non seulement à Gatumba, Kibenga, Kuwinterekwa, … mais aussi au centre-ville de Bujumbura ». Il signale en effet qu’en cas de pluie, le centre-ville devient presque impraticable puisque des avenues sont inondées. Ce qui résulte, selon lui, de la vétusté et du bouchage des canaux d’évacuation des eaux pluviales.
Côté officiel, nous avons tenté d’avoir une idée sur les actions en cours sur le terrain dans le cadre de la prévention des risques et gestion de catastrophes, sans succès.