Vendredi 24 janvier 2025

Politique

Agathon Rwasa : « M’ôter de la course électorale et vouloir m’ôter la vie, c’est triste »

Agathon Rwasa : « M’ôter de la course électorale et vouloir m’ôter la vie, c’est triste »

Dans une interview exclusive accordée à Iwacu, l’opposant politique Agathon Rwasa révèle que sa sécurité est menacée. Il y aurait même eu tentative d’assassinat. Il revient sur son retrait de la liste des candidats députés pour le compte de la coalition Burundi Bwa Bose, BBB, et sur l’envoi des troupes à l’Est de la RDC.

Est-ce que vous êtes aujourd’hui inquiet pour votre sécurité ?

Ma sécurité n’a jamais été bonne. Mais, je ne peux pas céder à la panique. Je me dis que je dois contribuer à l’essor de cette nation tant que je respire encore. Et cela peu importe les menaces.

Et j’espère tout autant que ceux qui procèdent par la terreur et des intimidations finiront par échouer. Parce que plus de 12 millions de Burundais ne sont pas négligeables aux yeux du Créateur du Burundi et des Burundais, par rapport à une poignée d’individus qui juste cherchent à faire la pluie et le beau temps et s’accaparer de tous les biens de cette nation, alors que ce sont des biens qui nous appartiennent à tous et qu’il faut partager équitablement.

La menace sécuritaire, c’est une triste réalité, pas seulement pour moi, mais pour beaucoup de gens. Il y a des gens qui sont assassinés. Il y a des disparitions forcées. On assiste à pas mal de mauvaises choses dans ce pays. Mais, à quand la fin de ce sinistre ?

Cela devrait interpeller la conscience des Burundais. Au moment où nous nous acheminons vers les élections, les Burundais devraient être conséquents avec cette situation que le pays traverse aujourd’hui.

Que voulez-vous dire M. Agathon Rwasa ?

Les Burundais vivent une crise multidimensionnelle qui ne peut nullement pas trouver de réponse que si et seulement si le pays change de gestionnaires. Ce n’est pas seulement y aller aveuglement et croire qu’on est en train de défendre ou de défier un système, mais plutôt il faut que l’on songe au lendemain de cette nation parce que le Burundi n’est pas si statique comme on pourrait le croire.

Le Burundi existe depuis des siècles et il survivra à tous ceux qui sont aux commandes aujourd’hui et tous ceux qui subissent les affres du diktat d’aujourd’hui.

Donc, je me dis que nul n’a droit au découragement, mais plutôt il faut affronter les difficultés pour qu’on puisse leur trouver une solution aujourd’hui.

Certaines sources dignes de foi affirment que jeudi le 16 janvier vous avez échappé à un attentat. Vous confirmez ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

J’avais quelques courses à faire au centre-ville de Bujumbura. Je devais même aller à ma paroisse pour quelques raisons de service. Et j’avais quelques rendez-vous, bien sûr, avec un ami ici, un ami là-bas. Et aux environs de 11h20, j’avais un rendez-vous avec quelqu’un, mais je me suis dit que je ne devrais pas l’attendre au bord de la rue.

Alors, je me suis dit, et si j’allais quelque part où il y a un peu d’ombre juste pour que mon véhicule ne consomme pas inutilement de carburant, avec la climatisation, surtout que c’est un produit qui est très rare maintenant au Burundi.

Alors, je me rends quelque part, je stationne sous un arbre et je consulte mon téléphone un tout petit peu. Étonnamment, le chauffeur qui semble inquiet démarre.

Surpris, je lui demande, mais pourquoi tu démarres ? Il ne faisait pas si chaud, on avait même ouvert les vitres. Il me dit : mais regarde ce véhicule là-devant nous. On dirait qu’il est en train de nous mettre dans le guidon, dans la ligne de mire.

Effectivement, le véhicule avançait de quelques mètres et s’arrêtait. Alors, je lui dis, non, peut-être qu’il s’agit d’un véhicule d’une auto-école, mais à voir l’aspect du véhicule en question, ça n’avait rien à voir avec ce type de voitures des auto-écoles de Bujumbura.

C’était quel genre de véhicule ?

Bon, une voiture aux vitres teintées, bien propre, ne portant pas cette histoire d’écriteau pour renseigner qu’il s’agit d’une auto-école pour que les conducteurs derrière prennent leurs précautions.

Et puis, effectivement, je vois que le véhicule s’arrête. Et c’était mon tour de dire au chauffeur qu’il avait peut-être raison, qu’il y avait lieu de s’inquiéter. Directement, je lui dis de bouger.

Je me dis qu’il faut quitter ces lieux pour aller dans un endroit presque opposé à celui-là, mais où on pouvait quand même voir la voiture en question.

Étonnamment, l’autre voiture n’a pas bougé d’un centimètre. Alors, j’ai dit au chauffeur : écoutez, il nous faut plutôt quitter ce lieu, on risque de se faire assommer ici et on n’aura même pas de secours.

Et c’est ainsi que nous avons changé de place. Et quelques minutes après, vers 12h5, je reçois un coup de téléphone. Quelqu’un m’a téléphoné de Gitega.

Suite à cet incident, étant occupé, je n’ai pas pris le téléphone. Alors, il a appelé mon chauffeur pour lui demander si nous étions toujours en ville. C’était un ami, bien sûr. Il dit : oui. Nous devrions aussi aller prendre les enfants à l’école, l’heure approche.

Et par après, il lui a dit : soyez prudents, vous êtes suivis depuis ce matin. Il lui a dit : est-ce que vous n’avez pas fait un arrêt à tel endroit ? Il lui répond : oui, on a été là. Et de nous dire qu’il y avait un véhicule qui nous a filé et qui s’était garé à quelques mètres de nous.

Au fait, notre interlocuteur nous a dit que c’était la quatrième voiture. Et cela m’a rappelé, en fait, ce qu’on avait vu à l’autre endroit quelques minutes auparavant.

Alors, je me suis dit, mais pourquoi est-ce que des gens chercheraient toujours à m’ennuyer comme ça ? Leur histoire d’élection, on m’en a écarté, on m’a mis hors circuit. Maintenant, pourquoi est-ce qu’ils continueraient toujours à chercher à m’en vouloir ? C’est très triste.

Est-ce que ce n’était pas peut-être une fausse alerte ?

J’ai par après essayé de me renseigner. Évidemment, ce n’était pas facile de connaître la plaque du véhicule, encore moins des occupants. Mais les informations que notre homme au téléphone détenait, c’était qu’à bord du véhicule garé tout près du mien, il y avait un fusil de sniper.

Et que donc, si Dieu n’était pas intervenu à temps, peut-être que je ne serais plus du monde des vivants.

Des hypothèses ?

Alors, je me dis que ce genre d’opérations ne sont pas menées par des bandits. Je ne pense pas que ce soit des gens qui seraient venus d’ailleurs. J’ai peur que ce ne soit des gens d’ici.

Et les derniers renseignements que j’ai, c’est qu’il y aurait effectivement des gens qui auraient eu cette mission-là. Ils changent de temps en temps de véhicules, ils changent également de plaques d’immatriculation. Donc, ce n’est pas aussi facile de les identifier.

Mais nous pouvons deviner à voir leur modus operandi. C’est ça, la triste réalité de ce pays. Au lieu de s’atteler à résoudre les problèmes récurrents, on cherche à en créer davantage.

Donc, pour les élections, le sort en est jeté, vous êtes hors circuit et comme si cela ne suffisait pas, il y a ces menaces.
On ne me fait même pas de justice. Si je porte plainte, il y aura des manœuvres dilatoires. La justice piétine. Et c’est très dommage pour notre pays.

Est-ce que pour ce cas, vous avez signalé cela à la police ?

Non, c’est inutile de le faire. Parce que je n’aurai pas de service à ce niveau-là. Mais tenez, par exemple, en 2010-2011, on me prend tous mes équipements à la permanence nationale de mon parti. Et c’est la police qui est venue prendre cela.

Et une fois que j’étais, encore une fois, un tout petit peu libre, je saisis l’inspecteur général de la police d’alors pour que mes biens me soient restitués. Je n’ai pas eu le droit à une réponse, même négative. Donc, on m’a répondu par le silence, purement et simplement.

Ceci pour vous dire que, dans certaines circonstances, on ferait mieux de ne pas perdre son temps et son énergie. Parce qu’on sait d’avance que rien ne sera fait. C’est la triste réalité.

Et, une autre chose, combien de gens sont portés disparus ? Combien de gens ont été arrêtés par des services étatiques ? On peut citer des exemples, il n’en manque pas. Jusqu’ici, rien n’a été fait pour que la vérité soit établie, pour que ceux-là qui les ont injustement arrêtés puissent répondre de leurs actes.

Et je pense que si un Rwasa venait à disparaître, peut-être qu’il y en a qui se mettraient à faire la fête, je suis certain, il y en a qui ne rêvent que de cela.

Est-ce que cela ne créerait pas d’autres problèmes ?

Je ne sais pas. La sagesse de notre pays est claire là-dessus : « Agapfuye kabazwa ivu (C’est à la terre qu’il faut demander des comptes quand il y a un mort. NDLR) ». Autrement dit : quand on est mort, on est mort. Mais, je m’imagine combien de gens sont morts ici au Burundi. Ils sont nombreux tellement que peut-être qu’il n’y aurait plus de problèmes, si leur disparition arrangeait certains.

Pourquoi chercher toujours à assassiner des gens comme ça, au lieu de résoudre les problèmes ? D’ailleurs, quelle est la mission des dirigeants ? N’est-ce pas d’organiser la société pour sa promotion et son bien-être ? Maintenant, si des citoyens réclament leurs droits, pourquoi, au lieu de leur répondre, il faut les faire taire ? Et éternellement.

Est-ce qu’on peut conclure aujourd’hui qu’Agathon Rwasa est hors course pour les élections de 2025-2027 ?

On ne sait rien de ce qui va advenir. L’avenir appartient seulement au Créateur. C’est lui qui sait ce qui va arriver après. Les élections de 2025 ? Est-ce qu’on aura des élections tout au moins ?

Avec quel compétiteur ? Et si on échoue avec les élections de 2025, peut-on s’attendre à des élections en 2027 ? Ou juste un simulacre d’élections ? Pour en arriver où ?
Et où sera le Burundi avec une économie qui se délite à chaque minute, avec une gestion calamiteuse comme nous le voyons aujourd’hui ? Prions Dieu pour que la situation s’améliore, sinon je ne vois pas si on devra toujours dire aux gens, qu’il y a des élections alors qu’il n’y en a pas.

Il y en aura …

On ne sait pas, mais de toute façon ce qui serait intéressant, ce serait quand même que ces gestionnaires du pays comprennent qu’ils ont quand même atteint un certain âge, que la retraite les attend.

Est-ce qu’ils seront contents d’aller en retraite sans pouvoir être assurés ne fût-ce que d’avoir une pension décente ?

Quel est l’appel que vous lancez à la Communauté internationale ? Un message, une bouteille jetée à la mer ?
La communauté internationale ne viendra pas sauver le Burundi. Le sort du Burundi, c’est dans les mains des Burundais, nous-mêmes. Si la Communauté internationale y est et qu’elle peut aider à quelque chose, l’heure serait plutôt d’amener les Burundais à se mettre ensemble autour d’une table, des pourparlers avec comme agenda : ’’Comment relever la situation ? ’’

Cela ne ferait même aucun mal si les Burundais devaient enclencher une transition qui préparerait alors des élections dignes de ce nom, où on aurait une compétition réellement démocratique, et non pas juste un semblant d’élections. Est-ce que cette Communauté internationale sera capable de faire cela ? Je ne pense pas.

Qu’est-ce qui s’est passé concrètement avec votre Coalition BBB ?

Bon, cette question quand même vient à point nommé parce que les gens certainement se posent des questions à ce propos. J’avais toute ma foi que tout allait se passer normalement.

Malheureusement, on est dans un pays où quand même le respect des règles est toujours absent, et on invente toujours, on prétend comme ceci, comme cela, juste pour justifier les erreurs qui malheureusement sont fatales pour cette nation. Donc, pour moi, la coalition, c’était une alternative au pouvoir.

Malheureusement, lorsque vint le moment décisif, on n’a pas vu les gens être à la hauteur de leur rôle à jouer dans la société. Concrètement, c’est quoi ? Une fois les listes déposées à la CENI, j’ai eu des coups de téléphone pour me faire du chantage, mais je n’étais pas partant. Et quand cela n’a pas marché, on a décidé alors de nous radier de la liste des candidats députés, et à ce moment-là, c’était alors à la Coalition UBB de porter plainte.

Pour le faire, il devait y avoir des consultations pour établir un réquisitoire vendable. Et j’ai alors vu que les responsables de la coalition se sont murés dans un silence total.

Nous avons demandé qu’il y ait une rencontre et on nous a avancé des arguments et au finish c’était la surprise d’entendre que les recours ont été déjà déposés et reçus à la Cour constitutionnelle, sans aucune concertation.

Et de là, il fallait alors attendre le verdict, et même ce verdict on ne le verra que sur les réseaux sociaux, avant qu’on ait une communication officielle par rapport à l’aboutissement de ces recours.

Un coup bas ?

Cela étant, je crois qu’on ne devrait pas apprendre à un vieux singe comment faire des grimaces ou comment monter sur un arbre, on pouvait flairer ce qui se tramait, ce qui se passait. Je ne veux pas accuser celui-ci de ceci ou de cela, mais je me dis qu’il y a quelque chose qui cloche au niveau du leadership de la coalition.

On s’est dit, alors ne soyons pas des trouble-fêtes, autant laisser les gens y aller comme ils l’entendent. On ne sait pas quel genre de tractation, il y aurait eu ou il y a entre eux et le pouvoir.

Mais avec les 12 millions de Burundais, attendons patiemment voir si réellement, nous avons des politiciens responsables qui voient cette situation tragique dans laquelle le pays se retrouve, et j’ose croire qu’il y en a qui peuvent tout au moins avoir un minimum de bon sens pour sauver cette nation, l’extirper de cette situation.

Et comme si cela ne suffisait pas, il y a également cette crise à l’est de la RDC…

Agathon Rwasa : « Nous n’avons aucun intérêt à ce que la guerre se pérennise dans cette sous-région. Que Dieu nous en préserve au Burundi »

Tout le monde assiste à ce qui se passe à côté au Congo. De très loin, ce que l’on peut voir, c’est que les alliés de Kinshasa ont des difficultés à contenir la menace du M23.

Et ce qui est plus grave, c’est que même l’armée burundaise est impliquée dans cette guerre, une guerre qui n’est pas la nôtre, certes, c’est une guerre des Congolais.

Mais si les Burundais s’y invitent ou s’y sont retrouvés invités, je dirais que si les Burundais devraient passer par un référendum pour dire « Oui, nous acceptons l’intervention de nos troupes au Congo », je ne serais pas de ceux qui diraient que nos troupes y aillent. Parce que je ne vois aucun intérêt, jusqu’à présent. Aucun.

Est-ce que le Parlement ne devrait pas être saisi pour autoriser de telles missions ?

Sous d’autres cieux, si on doit déployer des troupes, on n’informe pas l’Assemblée. On demande l’aval à l’Assemblée. Ici, on n’a pas demandé l’aval, l’armée a été déployée au Congo, et plusieurs mois plus tard, l’Assemblée a été informée.

Alors je me dis que pour une mission de l’armée au Congo, une mission qui rapporterait de l’argent, des dollars à quelques hauts dignitaires de l’armée ou du régime, – je précise bien qui apporterait, c’est ce qui se dit, je ne sais pas si c’est vrai ou faux, – je me dis qu’il serait difficile qu’il y ait un débat franc sur un sujet sensible comme celui-là.

Parce que ce qui a fait que les troupes burundaises soient envoyées là-bas comme une mission secrète, cela ferait que nous n’ayons pas le droit à un débat à propos.

Bref, je disais tantôt que si on devait procéder par référendum, je ne serais pas de ceux qui voteraient pour cet interventionnisme au Congo. Je me dis toujours que dans notre sous-région, nous sommes dans une communauté politico-économique, l’East African Community, nous devrions tout régler autour d’une table.

Mais pourquoi est-ce qu’il y a justement ces dribbles-là, entre Rwandais et Congolais, entre Rwandais et Burundais. Pourquoi il y a toujours ces dribbles-là ou crocs-en-jambe ?
Ne serait-il pas plutôt l’heure de passer à l’évaluation de cette Communauté de l’Afrique de l’Est, pour remettre les pendules à l’heure ? En tout cas, nous n’avons aucun intérêt à ce que la guerre se pérennise dans cette sous-région.

CNL

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