Dimanche 22 décembre 2024

Elections 2020

Agathon Rwasa : « cette élection est un véritable fiasco ».

22/05/2020 Commentaires fermés sur Agathon Rwasa : « cette élection est un véritable fiasco ».
Agathon Rwasa : « cette élection est un véritable fiasco ».

Le leader du Cnl est ferme : son parti a remporté les élections. Il dit pouvoir le démontrer. Pour lui, pas question de négocier quoi que ce soit, le choix du peuple doit être respecté. Une équipe du journal Iwacu l’a rencontré chez lui. Entretien exclusif.

Quel est votre commentaire par rapport aux résultats qui sont publiés par  les démembrements de la Ceni  via la synergie des médias ?

Le triple scrutin de ce 20 mai 2020 ne s’est pas déroulé dans des conditions normales  pour une élection dite démocratique. C’est un scrutin qui a été émaillé de beaucoup d’irrégularités graves. A commencer par le fait que les mandataires du parti Cnl, dans certains endroits, ont été malmenés, battus, arrêtés et jetés en prison. Nous avons assisté à des votes multiples de certains membres du parti au pouvoir. Même au moment du décompte des voix, des mandataires des partis politiques, surtout du Cnl, ont été chassés. Nous avons aussi relevé une énorme irrégularité : des gens ont été sommés de signer des procès-verbaux vierges  pour être complétés par  après  de façon fantaisiste.

Comment accueillez-vous les résultats donnés par les médias publics ?

Ce sont des résultats fabriqués  et qui ne sont pas fiables. Les quelques PV que nous avons  pu  collecter ne correspondent pas  avec ceux qui sont proclamés par les médias. C’est dommage que ça se passe ainsi.

Avez-vous des exemples précis ?

Un exemple ? La commune de Bukeye en Province Muramvya où nous avons 31.483 électeurs. Vous serez surpris si vous faites l’addition, car vous n’aurez pas le même total pour les trois scrutins. Le nombre de voix exprimées et nulles qu’on a décomptées dépasse de plus de 4.000 le nombre de personnes qui sont supposées avoir voté dans cette commune. Ce sont des résultats purement et simplement fantaisistes. Ce n’est pas seulement dans cette commune. Il y a aussi la commune Giteranyi de la province Muyinga. On estime que 65.000  électeurs ont voté. Le décompte fait état de 100 mille voix ! D’où vient cette différence de 35.000 voix ? Tout ceci pour vous dire que ce processus électoral est un véritable fiasco.

Vraiment ! Avez-vous des preuves irréfutables qui justifient vos propos ?

Ma foi, même un aveugle le verrait. La Ceni s’est refusée  à afficher les listes électorales. Nous avons signalé qu’il y a eu de multiples cartes d’électeurs qui sont restées dans les mains des administratifs. Et le jour du scrutin, des chefs de colline les ont distribuées à des individus. Les mêmes chefs de colline ont, en moyenne, distribué 50 procurations à chacun. C’est gravissime. Ceux qui ont tenté de le dénoncer ont été mis dans les cachots. Pascal Nahayo, un officier de l’armée burundaise en poste à Mutumba  en commune Kabezi de la province Bujumbura, a interpellé les gestionnaires du processus de vote pour faire attention aux gens qui votent plusieurs fois. Il a été arrêté. Tout cela montre que ce sont des fraudes, des tricheries planifiées d’avance. Une autre preuve pour étayer mes dires, le procureur de la République qui écrit au président de la Ceni lui demandant de rayer un bon nombre des membres du Cnl sur les listes des candidats. Notamment, la ministre de la Culture et du Sport Pélate Niyonkuru. Selon le procureur de la République, elle serait en prison. Pourtant, elle n’y a jamais été. Personne n’a même jamais porté plainte contre elle. La liste est longue. La fraude électorale a été planifiée. En écoutant la radio cet après-midi, on a dit qu’à Buyengero dans la province de Rumonge, pour les élections présidentielles, le Cndd-Fdd vient en tête avec 13.520 voix et que le Cnl vient en seconde  position avec 13.766 ! Là, nous avions plus de voix qu’eux, mais curieusement le Cndd-Fdd vient en tête. Il y a beaucoup de zones d’ombre par rapport à ce qui se passe. Selon certaines sources, la Ceni envoie de nouveaux formulaires de fiches de procès-verbaux pour qu’ils fassent un nouveau remplissage. Partout, ils sont en train de tripatouiller et manipuler les résultats pour qu’ils proclament ce que veut le parti au pouvoir. En Mairie de Bujumbura, tout a été fait dans les règles, mais des agents de la Ceni ont été dépêchés pour refaire le décompte. Tout cela pourquoi ?

Que comptez-vous faire?

Que peut-on faire d’autre si ce n’est saisir les organes habilités à trancher ? Ceci est un contentieux électoral. Les mécanismes prévus par la loi stipulent qu’il faut saisir la Cour constitutionnelle. Mais nous ne pouvons pas saisir la Cour constitutionnelle tant que la Ceni elle-même n’a pas  rendu  publics les résultats. Jusqu’à présent, bien qu’elles soient autorisées par la Ceni, les communications qu’on entend sont faites par la synergie des médias. Nous attendons qu’elle le fasse officiellement pour saisir la Cour constitutionnelle.

Seriez-vous prêt à un compromis avec votre challenger, pour éviter une crise ?

Vous savez, les compromis, ça n’arrange jamais rien. Il faut plutôt que les gens soient dans la règle et qu’on accepte le verdict de la population. C’est ce qui nous sera utile. Sinon, en allant de compromis en compromissions, voilà où nous en sommes… Nous n’avançons pas du tout. Au contraire, nous reculons. Maintenant, si la population décide un changement, il faut respecter le choix du peuple. C’est ce que nous demandons aux différents compétiteurs, aux organes gestionnaires de ce processus, aux forces de l’ordre, aux autorités administratives et judiciaires. Il est hors de question d’abuser de son pouvoir pour  pérenniser un système qui a failli à sa mission. Après tout, la mission de tout pouvoir est de protéger d’abord ses citoyens et leurs biens. Les gens sont kidnappés, des cadavres retrouvés et les enquêtes de la police n’aboutissent jamais. Faut-il laisser encore les criminels s’en sortir comme ils veulent et faire la loi ? L’Etat doit être le détenteur du pouvoir réel. C’est à quoi les Burundais aspirent. Ils veulent mieux vivre qu’ils ne le peuvent aujourd’hui. La paupérisation galopante depuis une décennie ne leur plaît pas. Si on va de compromission en compromission, dans cette situation où les criminels bénéficient de l’impunité totale, le Burundi ne pourra jamais s’en sortir. Mon conseil est de revenir à la raison et de respecter le peuple burundais. Il a ses droits. Il faut les respecter et les promouvoir.

Pas question de compromis donc ?

Les compromis ne sont jamais respectés malheureusement. Les Burundais ne se sont-ils pas convenus à Arusha ? Quelle est la suite réservée à cet accord ? Pourquoi peinons-nous à vivre ensemble et à avoir des institutions qui satisfassent toute la population ? Pourquoi y a-t-il toujours  des tueries ? Pourquoi les gens abusent-ils toujours du pouvoir ? Pourquoi l’économie est-elle dans les mains d’une poignée de quelques personnes au détriment des millions d’autres ? Pourquoi tout ça ? N’avait-on pas fait de compromis? Faudrait-il bafouer les droits des citoyens et continuer à dire « nous allons faire des compromis » ? D’ailleurs ce ne sont plus des compromis. Ils deviennent des compromissions. Le peuple a ses droits. Et si on doit s’asseoir autour d’une table ce ne peut être  que pour discuter du verdict des urnes. Pas question d’oublier ce que le peuple a choisi. Cela ne m’intéresse pas.

Etes-vous prêt à demander un nouveau scrutin?

Le demander serait un idéal. Mais dans quelles conditions ? Aurions-nous des observateurs neutres? J’ai peur qu’on nous oppose l’argument du manque de moyens. Et pourtant, le Burundi n’est pas un îlot à part. Notre pays n’est pas aussi solitaire qu’il paraît. Il y a beaucoup de Burundais et de partenaires qui peuvent aider pour que le processus électoral avance normalement. Faute d’un nouveau scrutin, c’est peut-être de refaire le décompte des voix, de façon transparente. Mais comment le faire alors qu’il y a eu bourrage d’urnes ? Avec un nombre de voix supérieur à celui des votants supposés être dans le fichier électoral ? C’est quand même difficile et délicat.

Est-ce que le parti au pouvoir vous aurait approché? 

Non.

Ne craignez-vous pas pour votre sécurité ?

Je suis préoccupé par la sécurité de tous les Burundais. Dans un pays où le désordre s’est érigé en maître, tout est à craindre. Cependant, l’heure n’est pas de céder à la panique. J’imagine que je dois jouir de mes droits. Parmi ces droits, il y a le droit d’opinion. Si les Burundais s’expriment par rapport à ce qu’ils vivent, ce n’est pas un crime. Personne ne devrait être inquiété pour cela. Au contraire, le parti au pouvoir et le régime lui-même devraient essayer de faire une introspection. 15 ans de pouvoir, 15 ans de torture morale et physique de toute une population, 15 ans de paupérisation, 15 ans de toutes sortes de misères pour les Burundais, devrait-on en ajouter encore ? Ne faudrait-il pas laisser ce peuple libre pour que notre pays puisse pousser un ouf de soulagement et s’embarquer sur la voie du progrès et du développement ?     

Auriez-vous un message pour la Ceni?

Le message est unique pour la Ceni, les militants du Cnl et tous les Burundais en général. La population burundaise s’est exprimée. Je demande à la Ceni, au peuple burundais, aux hautes autorités et à la communauté internationale de respecter le verdict du peuple. Que tout se fasse en toute quiétude dans le respect et dans la dignité de chaque citoyen. Il n’y a plus de place pour la violence dans ce pays.

Que voulez-vous dire par le respect des urnes?

Ce que je sais, c’est que le Cnl a gagné.

                                                        

Propos recueillis par Léandre Sikuyavuga et Arnaud Igor Giriteka

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