Début juillet, la direction de l’Afritextile met en congé plus de 500 employés. Motif officiel : rupture de stock du coton. Mais cette explication ne convainc pas les travailleurs.
Plus de 500 employés, sur environ 1 000 que compte l’entreprise Afritextile (Ex-Cotebu), la seule entreprise textile du pays ne travaillent pas. Ils ont été « forcés » de prendre leurs congés annuels à cause de la rupture des stocks du coton. Aujourd’hui, certains d’entre eux craignent que « ces congés forcés» risquent de se transformer en licenciements ou aboutissent à la fermeture de l’entreprise.
T.S., un des employés congédiés, rencontré à Musaga au sud de la capitale, mardi 17 juillet, remet en cause les explications de la direction: «Ce sont des mensonges fabriqués de toute pièce.» Le problème de rupture des stocks du coton invoqué par le chef du personnel est une décision taillée sur mesure. Il révèle au contraire l’agenda des autorités de l’entreprise de réduire l’effectif de son personnel.
Selon lui, cette rupture a été provoquée volontairement par le responsable en charge des approvisionnements qui a sous-estimé les besoins de l’entreprise. Cela est d’autant plus vrai, car les gestionnaires des magasins avaient signalé, à maintes reprises, le risque de rupture des stocks du coton à leurs autorités hiérarchiques. Là où le bât blesse, regrette-t-il, ces dernières n’ont pas réagi en conséquence.
Cet employé fait remarquer, que le chef du personnel avait déclaré, début juillet, que le problème de rupture des stocks du coton sera résolu au plus tard le 15 juillet. Mais jusqu’aujourd’hui, souligne-t-il, l’Afritextile n’a encore acheté le moindre gramme de coton.
P.K., un autre employé, rencontré à Buyenzi, craint que ces « congés forcés » aboutissent à la fermeture de l’entreprise. Ce qui nous inquiète de plus aujourd’hui, insiste-t-il, c’est que la direction continue de mettre en congé d’autres employés. De surcroît, la direction de l’entreprise ne précise pas la date de retour. «Elle notifie aux employés renvoyés qu’ils seront rappelés dès que le coton sera disponible.»
Il indique que la direction de l’entreprise a promis de verser aux employés en congés les salaires de ce mois. Mais si cette pénurie du coton persiste, l’entreprise ne continuera pas à les payer. Elle va les renvoyer au chômage technique qui risquerait d’aboutir au licenciement. Et de rappeler que la rupture des stocks du coton était à l’origine de la fermeture de cette entreprise en 2006.
Mauvaise gestion
S.C., un autre travailleur renvoyé, ne mâche pas ses mots. « La rupture des stocks du coton est liée à la mauvaise gestion de l’entreprise. Les responsables des approvisionnements ont commandé 800 tonnes alors que ses besoins étaient estimés à plus de 1 200 tonnes de coton.»
Selon lui, il est incompréhensible que la rupture des stocks du coton survienne au mois de juillet. Souvent, explique-t-il, elle intervient à la fin de l’année. Or, poursuit-il, c’est dans cette période que beaucoup d’employés prennent leurs congés annuels et laissent les techniciens effectuer les travaux de maintenance des machines.
Il déplore également l’absence du stock de sécurité à l’Afritextile. En plus des prévisions des besoins en matières premières, plaide-t-il, toute entreprise doit avoir un stock de sécurité minimal de trois mois. Et d’exhorter les responsables de l’entreprise à diversifier ses fournisseurs des matières premières. « La production nationale est insuffisante.»
La direction rassure
Félicien Niyonizigiye, Chef du personnel à l’Afritextile, tranquillise ses employés : «Qu’ils soient rassurés. Il ne s’agit pas d’une décision de fermer ou de licencier une partie du personnel. C’est une simple mesure de gestion de l’entreprise.»
Selon lui, il n’y a rien d’anormal. Cette mesure intervient souvent en cas de rupture des stocks des matières premières ou en cas de maintenance des machines, généralement à la fin de l’année.
M. Niyonizigiye explique simplement la mise en congé de certains employés de l’Afritextile par la rupture des stocks du coton, matière première de base.
Suite à cette rupture des stocks, la direction de l’entreprise a exigé aux employés qui œuvrent dans les ateliers de filature et de tissage de prendre leurs congés annuels. Il n’y avait aucune raison que ces employés restent à l’usine sans qu’ils aient de quoi faire.
Le chef du personnel à l’Afritextile indique, par ailleurs, que son entreprise utilise exclusivement le coton fourni par la Compagnie de gérance du coton (Cogerco). Elle n’importe pas cette matière première. «L’importation coûte et prend au moins trois mois ».
Les travailleurs en congé, rassure-t-il, percevront d’ailleurs leurs salaires à la fin du mois. Ils seront rappelés dès que la Cogerco aura fourni du coton à notre entreprise. Cette société commencera la campagne de récolte du coton dans deux semaines.
Il dément, par ailleurs, certaines informations diffusées sur les réseaux sociaux qui évoquent la fermeture de l’usine. « L’Afritextile n’a pas de difficultés aujourd’hui qui pousseraient cette société à réduire son personnel», martèle-t-il.
Félicien Niyonizigiye rassure également ses clients : « Il n’y aura pas de pénurie de tissus et d’autres produits de l’Afritextile. Les activités de l’entreprise se déroulent normalement.» En l’absence du coton, l’Afritextile utilise des tissus importés de l’étranger.
Faible production nationale
Pierre Claver Nahimana, directeur général de la Cogerco indique que la production nationale ne peut pas satisfaire les besoins de l’Afritextile. La Cogerco a produit environ 800 tonnes de coton la saison dernière alors que les besoins de l’industrie textile au Burundi s’évaluent à 1200 tonnes.
M. Nahimana indique que la production du coton a diminué au cours de ces dernières années. Cette réduction s’explique essentiellement par deux facteurs. D’une part, la surface réservée à la culture du coton a sensiblement diminué. La population a substitué le coton par des cultures vivrières. D’autre part, la diminution de la production du coton est due à la baisse des investissements alloués à cette culture.
Le directeur général de la Cogerco témoigne, par ailleurs, que par le passé, le Burundi fournissait à l’industrie textile locale et exportait l’excédent à l’étranger. Aujourd’hui, regrette-t-il, la production de sa compagnie ne parvient même pas à satisfaire la demande locale. Et il recommande au gouvernement d’investir davantage dans cette culture industrielle.