La colline Rukira, commune Butihinda de la province de Muyinga a été le théatre des affrontements entre jeunes du parti au pouvoir et ceux de l’opposition. L’affrontement a fait un mort, du côté de deux jeunes opposants.
Tout commence dans la soirée du dimanche 21 avril. Environ cinq Imbonerakure retrouvent une dizaine de jeunes des partis de l’opposition au centre de la colline Rukira, d’autres habitants sont sur place. Les bars sont bondés, des boutiques accueillent des clients. Ces jeunes du parti Cndd-Fdd reviennent d’une patrouille. Ils ont été appelés en renfort avec d’autres camarades pour sécuriser le périmètre en prévision d’une attaque imminente d’un groupe armé venu d’un pays voisin. Cette information va se révéler fausse et la police va arrêter ses investigations et les Imbonerakure vont rentrer chez eux.
Ils se dispersent et les cinq se retrouvent au centre des membres du CNL et du Sahwanya Frodebu.
Ces jeunes du parti au pouvoir agressent verbalement ces jeunes. Ils les accusent d’être en intelligence avec l’ennemi qui va venir de l’extérieur. Ils savent qu’ils sont en sous-effectif, mais n’ont pas peur. Ils sont du Cndd-Fdd et se considèrent comme intouchables. Sauf que les jeunes du CNL s’énervent. Des coups de poing pleuvent, les jeunes du parti au pouvoir sont passés à tabac.
Le lendemain, ils alertent leurs camarades. C’est l’heure de la revanche. L’opération est dirigée par un certain Saidi Nyamarushwa, vice-président du parti Cndd-Fdd en commune Butihinda et le chef de zone nommé Issa Bankuwunguka. Les opposants doivent payer l’affront de la veille.
Une fouille est improvisée à la recherche de toute personne qui a trempé dans la bagarre du dimanche. Toute personne soupçonnée est battue. Aloys Ncishubwenge, un membre du parti Frodebu va succomber suite à ses blessures.
Certains ont eu la chance d’être prévenues à l’avance. Ils décident de prendre le large. Il s’agit notamment de Révérien Kwizerimana, président du parti Frodebu de cette localité. De sa cachette, il apprend que sa femme du nom de Gilberte Hatungimana a pris quelques coups. Elle a un œil au beurre noir et quelques côtes cassées. « Je ne peux même pas la joindre au téléphone. On le lui a pris, » déplore-t-il avant d’ajouter qu’il est obligé de rester dans la clandestinité jusqu’à ce que les choses se tassent. « J’envisage également l’exil ».
Un certain Zacharie Nizigiyimana, blessé, va être conduit au cachot de Kamaramango. Les policiers et les Imbonerakure continuent leur chasse à l’homme. Ils embarquent trois autres personnes. La peur s’installe dans la colline Rukira.
« Le couvre-feu est à 21 heures »
Ce mercredi 24 avril. La gouverneure de la province de Muyinga, Aline Manirabarusha se rend à Butihinda, où une réunion de sécurité est organisée pour tenter d’apaiser les esprits. L’administrateur de la commune Butihinda, le commissaire de police de Muyinga ainsi que le commandant de la 3 ème région militaire. Du côté du parti CNL, une délégation a quitté Bujumbura pour se rendre sur les lieux. Un des représentants du parti CNL dans cette localité demande au procureur de Muyinga d’enquêter sur les deux meurtres. « Ce n’est pas normal que des personnes soient tuées et que les administratifs fassent comme si de rien n’était ».
Aline Manirabarusha, gouverneure de la province de Muyinga dit ignorer les informations faisant état de personnes tuées. « L’administrateur ne m’a rien dit de tel ». Elle refuse également de parler de partis politiques et évoque une bagarre entre des habitants de Rukira qui a mal tourné. Elle rappelle que le couvre-feu dans les collines est fixé à 21 heures. « Ceux qui dépassent ces heures sont considérés comme des malfaiteurs ». La gouverneure prévient qu’elle ne tolérera pas les réunions après 18 heures, ceux qui seront attrapés seront mis entre les mains de la justice. Elle appelle ses administrés à ne pas se faire justice. « Ces pourquoi plusieurs personnes qui ont trempé dans cette bagarre sont actuellement dans les mains de la justice. »
Analyse/ Oeil pour œil, dent pour dent
Les craintes des uns et des autres se concrétisent. Un pas a été franchi. Il y a quelques jours, les opposants se résignaient à faire profil bas.
Arrêtés, tabassés, malmenés ils encaissaient sans broncher. Mais à l’instar de l’évènement de Butihinda, il semble clairement que l’heure est plutôt à la logique de la confrontation. Les jeunes aigles ne feront plus la loi, d’autres opposants ont exprimé leur ras-le-bol.
Disons-le, Agathon Rwasa se présente actuellement comme la bête noire du pouvoir. A l’instar de la coalition Amizero y’Abarundi que cet ancien patron du FNL a formé avec quelques leaders de l’Uprona de l’opposition, le CNL fait peur. Et certains militants zélés du parti au pouvoir n’ont pas encore digéré l’agrément de ce parti.
La mise en place des organes du parti CNL samedi 20 avril a coupé l’herbe sous les pieds de ceux qui avançaient l’argument de la non-reconnaissance du parti dans les 12 provinces. « Un prétexte, » avait avancé Agathon Rwasa qui craignait que la situation ne change pas pour autant même si les organes du parti étaient formés. Les échauffourées de Rukira semblent lui donner raison.
A ce stade, le pouvoir est confronté à cette situation : calmer le jeu, jouer les pompiers en appelant au calme et à la retenue. Faire plus pour l’ouverture de l’espace politique. Promouvoir la tolérance politique pour de meilleures élections en donnant la chance aux adversaires de se battre à armes égales. Ou alors, laisser faire avec le risque d’un embrasement généralisé et la perte de contrôle de la situation.
Les échauffourées de Butihinda sont jugées par certains d’incident qui a mal tourné. « Pas besoin de crier au loup ». Sauf que les grandes crises ont commencé avec moins que ça…