Excellente bataille juridique, méthodique, entre le ministère public et les avocats de la défense. Le siège a semblé plutôt à l’écoute et, pour la première fois, les prévenus et leurs avocats ont pu s’exprimer sur le fond.
{Antoine Kaburahe, envoyé spécial à Gitega}
<doc5491|left>C’est dans un tribunal bondé, que s’est ouvert à Gitega le procès dit « Ruvakuki ». Plusieurs journalistes, des membres de la société civile, des diplomates (France, Belgique, Allemagne, UE,…) avaient fait le déplacement.
Un premier groupe, accusé « d’actes terroristes » a été entendu. Serein, le président du siège, Fulgence Ruberintwari, posait les questions de manière professionnelle.
Appuyés par leurs avocats, les prévenus semblent avoir adopté une ligne de défense commune : ils sont poursuivis pour leur appartenance politique, et les aveux ont été extorqués sous la torture.
« Sinduhije a étudié avec Obama »
Baranderetse Méthode, le premier prévenu, un instituteur et militant du FNL (aile Rwasa) va montrer à la cour les marques de torture sur ses bras. « J’ai été torturé et sous la torture on accepte tout », lance celui qui affirme avec force qu’il reste un militant fidèle de « son excellence Agathon Rwasa. »
Point par point, Méthode Baranderetse va réfuter les accusations portées contre lui. Il reconnaît et revendique son appartenance au FNL de Rwasa. Après les élections, il a été menacé et contraint à l’exil en Tanzanie. Convaincu par l’appel du président de la République qui invitait les exilés à regagner le pays, il est rentré par Cankuzo. C’est là qu’il aurait été appréhendé.
Avec beaucoup de détails, il va raconter son arrestation, les coups, les interrogatoires nocturnes. Quand il est emmené dans le camp militaire de Mutukura, il croit qu’il va être tué. « On me demandait de dire que je travaillais avec la société civile, l’Olucome, Alexis Sinduhije, que notre groupe avait des connections internationales car Alexis Sinduhije a étudié avec Obama ». Et de lancer, solennel : « Votre honneur, moi je n’étais qu’un simple instituteur de Mwakiro, j’ignorais que Sinduhije a étudié avec Obama ». Toute la salle éclate de rire.
Et un des avocats d’embrayer : « Notre client enchaîné a été interrogé à des heures avancées, dans un camp militaire, avec visiblement des questions orientées. C’est inacceptable.»
« On a pressé les testicules de mon client »
Le procureur revient à la charge, Méthode Baranderetse a été attrapé en « flagrant délit. » Il portait même un vêtement militaire. L’avocat réplique : « Est-ce que c’est un acte terroriste? » La salle pouffe de rire. Le président du siège exige le silence.
Il veut accélérer l’interrogatoire « pour écouter les autres prévenus ». La défense l’arrête : « Votre honneur, ne faisons pas l’économie du temps, ces personnes jouent leur liberté et risquent la perpétuité. Nous allons prendre tout le temps qu’il faut.»
Le président du siège, M. Ruberintwari accuse le coup et revient à la charge : « Votre client a été attrapé en flagrant délit.»
L’avocat réplique : « Votre honneur, soyez précis par rapport au flagrant délit. Le ministère public doit prouver, et ne pas se contenter d’énumérer ». La défense enchaîne :« Quel est l’acte posé individuellement dans le sens de tuer, de voler ? » Mot à mot, les deux camps s’affrontent, mais avec respect.
L’avocat de la défense relève une importante contradiction. Son client a été appréhendé le 26 novembre 2011 à Cankuzo. Or, l’attaque a eu lieu les 20 et 21 novembre.
Le procureur ne semble pas se démonter et maintient les charges contre « le groupe. » Les avocats bondissent : « l’assignation ne doit pas concerner un groupe mais un individu.»
L’accusation vacille. Les avocats de la défense enfoncent le clou avec le deuxième prévenu, Alexandre Ndayiragije. Il a été arrêté le 26 novembre. Lui aussi est accusé d’actes terroristes commis le 20 novembre à Cankuzo.
Quid des aveux ? « J’étais menotté des mains et des pieds, il était 21 heures, j’étais nu ». Et l’avocat de préciser. « Votre honneur, on lui a pressé les testicules. » Un silence gêné parcourt la salle. Sur un banc, Hassan Ruvakuki semble fatigué. Il ne sera pas écouté.
Tout au long de la journée, les avocats vont camper sur cette ligne de défense : la cour ne doit pas travailler sur les aveux extorqués sous la torture. « Nous avons montré au ministère public toutes les preuves des actes de torture. Il ne faut pas mettre l’intime conviction sur les PV contestés », insiste la défense.
Contrairement à ce qui s’était passé auparavant à Cankuzo, le siège a semblé plutôt à l’écoute et, pour la première fois, les prévenus et leurs avocats ont pu s’exprimer sur le fond. La prochaine audience a été fixée au 18 octobre prochain.
A Gitega, nous avons assisté à une excellente bataille juridique, méthodique, entre le ministère public et les avocats de la défense. La justice en action. Dans toute sa splendeur.