Après le renvoi du procès par la Cour suprême en chambre de cassation, Me Tony Germain et Apollinaire Hitimana ont comparu pour la première fois devant la Cour d’Appel de Ngozi, ce jeudi 15 décembre. L’espoir dun procès équitable est permis.
C’est un Me Tony Germain Nkina décontracté, crâne et barbe rasés qui a comparu devant les juges de la Cour d’appel de Ngozi. Il était 10 h 45 min ce vendredi 15 décembre 2022 dans lavant-midi. Il est arrivé avec les autres accusés, escortés par les gardes de la prison de Ngozi. Ses avocats, des membres de sa famille et des proches étaient là.
Devant la salle d’audience, des scènes émouvantes, des poignées de mains interminables, des embrassades. Quelques médias privés, un représentant de la CNIDH et des représentants des ambassades accréditées à Bujumbura ont fait le déplacement.
La salle est trop petite pour le public. L’attente n’a pas été très longue. Après avoir pris connaissance de leurs droits respectifs, le président du siège a ouvert le procès. La cour a demandé au ministère public s’il a « du nouveau sur le dossier. »
Ferme, le procureur de la République à Kayanza a tout de suite affirmé qu’il a en sa possession les « mêmes preuves suffisantes pour condamner les accusés. »
« La Cour Suprême nous demande de requalifier les faits et interpréter correctement la loi en rapport avec les accusations. Avez-vous des preuves des charges contre ces deux accusés ? », a demandé le président du siège.
Gênée, la représentante du ministère public s’est levée et a commencé à invoquer l’article 611 du code pénal qui incrimine les accusés.
« Après le PV des témoins et les accusés, il a été clair que ces deux personnes ici présentes ont trempé dans les attaques meurtrières du 25 septembre 2020 à Kabarore ! »
La cour a rétorqué.
« Nous voulons les faits matériels et non des narrations. Montrez au tribunal comment et avec quels moyens ont-elles participé. »
Les charges ont fusé. « Me Nkina est allé à Kabarore le jour de la commémoration de la fête de notre héros national sans autorisation, en plus d’avoir utilisé la moto de l’APRODH, une organisation rebelle ; il s’est permis de poser des questions en rapport avec les assaillants aux victimes. Et tout ça montre qui il voulait recueillir des informations et avoir le bilan des attaques. Personne ne peut ignorer que c’est RED Tabara en provenance du Rwanda qui a commis ces forfaits. Et d’ailleurs cet homme que nous accusons aujourd’hui a séjourné dans ce pays en 2019 ».
Nouvelle salve de questions : « Peut-être que nous avons mal posé la question. Nous vous demandons des actes et des faits matériels par rapport à la qualification de l’article 611 ».
Après une longue hésitation : le ministère public a répondu que seul l’article 611 est adéquat pour punir l’accusé. Après accusations et contre accusations qui ont duré plus de 4 heures, le tribunal a entamé une autre série de questions en rapport avec les interprétations de la loi.
Durant tout ce temps-là, Apollinaire Hitimana est resté silencieux, les attaques étaient dirigées seulement sur Me Nkina.
Quand le tour des accusations contre Apollinaire Hitimana, coup de tonnerre. Le parquet s’en est remis à la Cour pour qualifier les faits. Avec une voix hésitante, une brève réponse est tombée : « Il a été induit en erreur par Nkina car il ne cherchait qu’un avocat pour ses litiges fonciers. Sauf qu’il a mis en contact Nkina et les rescapés de l’attaque ; il n’y a rien d’autre que nous avons trouvé ! » Vers 15 h de l’après-midi est venu le temps du réquisitoire. Le ministère public n’a pas bougé d’un iota sur ses précédentes demandes.
La partie plaignante a demandé l’acquittement. Elle a mis en avant le fait que le parquet a manqué de preuves pour les inculper.
La Cour d’appel a promis de rendre sa sentence le 16 janvier 2023. Pour le public présent à l’audience, « le pas franchi est grand. » Beaucoup de personnes ont dit à Iwacu que c’est du jamais vu à Ngozi : la Cour et le ministère public n’émettent pas sur la même longueur ! « Peut-être que c’est le début des procès équitables », disaient avec espoir plusieurs personnes.
Rappel des faits
Me Nkina a été arrêté le13 octobre 2020 sur la colline Tondero par un OPJ et un chef imbonerakure, dans la commune Kabarore, province Kayanza, alors qu’il rendait visite à un client pour le conseiller dans un dossier foncier (RC5852). Détenu une première nuit à Kabarore, il a ensuite été emmené au Service national de renseignement (SNR) à Kayanza. Il a, par la suite, été transféré au cachot de la police à Kayanza, le 16 octobre 2020, puis à la prison de Ngozi, où il est toujours emprisonné. Un dossier a été ouvert au parquet de Kayanza et Me Nkina a été accusé de collaboration avec le groupe armé RED-Tabara. Me Nkina a été jugé par le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Kayanza, qui, le 15 juin 2021, l’a déclaré coupable d’atteinte à l’intégrité du territoire national (article 611 du Code pénal) et l’a condamné à cinq ans d’emprisonnement et une amende d’un million de BIF (dossier RP10.787). Son jugement lui a été signifié le 12 juillet 2021. Me Nkina a interjeté appel auprès de la Cour d’appel de Ngozi le 16 juillet 2021. La Cour d’appel de Ngozi a pris le dossier en délibéré le 20 septembre 2021. Le 29 septembre 2021, la Cour d’appel de Ngozi a confirmé le jugement du TGI (dossier RPA 2626). Fin novembre 2021, Me Nkina a fait recours à la Cour suprême et déposé les mémoires de pourvoi en cassation (dossier à la Cour suprême RPC 5017). Le 20 juillet 2022, le parquet général a formulé ses répliques au pourvoi en cassation. Il a répété les mêmes allégations contre Me Nkina, à savoir qu’il travaillait pour son ancien patron de l’association des droits humains l’APRODH, Pierre Claver Mbonimpa, qu’il collaborait avec le groupe d’opposition RED-Tabara et qu’il s’était rendu au Rwanda en 2019 pour préparer les attaques attribuées à ce groupe en 2020. Le 7 octobre 2022, la Cour suprême a traité le pourvoi en cassation de Me Nkina dans une audience qui n’a duré que quelques minutes. Plusieurs représentants d’ambassades européennes et de l’ambassade américaine ont assisté à l’audience. Le 6 décembre 2022, la Cour suprême a cassé le jugement et renvoyé le dossier à la Cour d’appel de Ngozi. Le client de Me Nkina, Apollinaire Hitimana, a également été arrêté et est son co-accusé dans le dossier. Il a été déclaré coupable de complicité à la même infraction, et condamné à deux ans et demi d’emprisonnement et une amende de 500 000 BIF.
Nkina doit être acquitté.
Je suis du même avis que vous. J’ai, dans un commentaire précédent sur le même sujet, demandé aux lecteurs d’Iwacu qui le souhaitent de prier Notre Seigneur Jésus-Christ pour que justice soit rendue en faveur de Me Nkina. Voici que la lumière commence à poindre au bout du tunnel!