La propriété du Prince Joseph Kiraranganya à Mubuga continue de diviser ses descendants. Pour rappel, la société GIGAWATT GLOBAL BURUNDI SA y a implanté une centrale photovoltaïque. Elle a signé un contrat de 58.000 dollars américains par an et pour 25 ans avec Eric Kira. Ce dernier, petit-fils du Prince, se dit le seul héritier. Les descendants d’Antoine Hodari contestent. Ils se disent eux aussi héritiers. Deux versions s’affrontent.
« Après la mort de son mari Joseph Kiraranganya en 1957, son épouse Marthe Muhimbare, par un jugement de la Cour Supérieure de Gitega de 1999, est déclarée la seule propriétaire légale avec ses enfants Boniface Kiraranganya, Gaspard, Guido, Libérât et Rose », indique Marie Sindatuma, mère d’Eric Kira et épouse de Boniface Kiraranganya. « Marthe Muhimbare meurt en 2009. Boniface Kiraranganya, le seul survivant des 5 enfants de Marthe, devient le seul héritier du terrain. En 2010, de son vivant Boniface Kiraranganya, par un testament notarié et légalisé par les autorités burundaises, nomma Eric Kira comme le seul propriétaire du terrain avec le plein pouvoir de l’exploiter à sa discrétion ».
Selon Marie Sindatuma, qui vit actuellement au Canada, c’est elle qui est venue au Burundi en 2010 pour faire toutes les démarches administratives nécessaires au nom de son fils. « C’est avec l’approbation et l’autorisation du chef de la zone Mubuga avec Abahanuzi de la colline Mirama dont j’ai les noms et leurs signatures que j’ai fait les démarches pour le titre foncier, le zonage, … tel que la loi l’exige».
« Pourquoi Hodari et non Kiraranganya ? »
« Ces soi-disant descendants sont tout simplement jaloux de la réalisation d’Eric Kira, une réussite jamais encore atteinte depuis l’indépendance du Burundi. Évidemment que ça saute aux yeux ! » Elle ne comprend pas comment les descendants d’Antoine Hodari revendiquent les revenus provenant de la concession de la parcelle.
Et Marie Sindatuma de se poser la question : « Si Hodari était le fils reconnu du Prince Joseph Kiraranganya, pourquoi avoir appelé son fils aîné Hodari, un nom swahili ou arabe au lieu de Kiraranganya ? » A l’âge de l’école primaire, poursuit-elle, je me souviens très bien d’un cycliste. « Il était célèbre de par sa capacité infatigable de pédaler des journées entières. Le cycliste en question s’appelait Hodari. Par hasard sa descendance vient faire du chantage à mon fils jusqu’au Canada. » Elle se demande pourquoi c’est maintenant que Gigawatt s’est installé sur le terrain de Mubuga que les descendants d’Antoine Hodari se sont rappelés d’y avoir droit, 64 ans après la mort de Joseph Kiraranganya, après la mort de sa femme Marthe Muhimbare, après la mort de Boniface Kiraranganya.
« Joseph Kiraranganya n’a jamais reconnu de fils illégitime. Selon la loi, un fils naturel doit être reconnu par écrit. Donc, le fait que n’importe quelle femme ait raconté à son fils qu’il est un fils naturel de Joseph Kiraranganya n’est pas valide selon le Code civil. Ces gens peuvent-ils vous fournir un certificat de naissance, preuves d’adoption, etc. ? », assène Eric Kira.
Une autre version fait surface
« Antoine Hodari est le fils aîné de Joseph Kiraranganya avec Thérèse Gahimbare, sa première femme. Il est né en 1913 », raconte un membre de la famille Kiraranganya. Selon lui, le Prince Kiraranganya avait trois femmes : Thérèse Gahimbare, Marie Kwezi et Marthe Muhimbare. « Lorsque les Pères Blancs sont arrivés, le Prince Joseph Kiraranganya a accepté de se faire baptiser. Ils l’ont alors obligé de choisir une seule épouse Il a choisi la plus jeune, Marthe Muhimbare. »
Selon des témoignages recueillis, les problèmes ont commencé quand le Prince Joseph Kiraranganya a été emprisonné en 1942 au Rwanda avec sa sœur Marie Nteturuye. « Ses descendants ont été chassés de Ruyigi. Les terres du Prince ont été récupérées par d’autres. » Selon le livre de Jean Ghislain, ancien administrateur du territoire au Burundi, « La féodalité au Burundi », les terres du Prince Kiraranganya ainsi que celle de son frère Gabriel Maregeya ont été récupérées par Jean Kashirahamwe, chef du Buyogoma de 1942 à 1960.
Les descendants de Kiraranganya se sont dispersés. « Les enfants d’Antoine Hodari sont allés vivre chez la famille de leur mère à Ngozi. En revenant de la Tanzanie, Antoine Hodari est allé vivre chez son oncle Maregeya. En entendant cette nouvelle, sa femme et ses enfants sont venus le rejoindre. La famille s’est encore ressoudée », confie N.K, un proche de cette famille. Comme il ne pouvait pas rester chez son oncle avec sa famille, poursuit-il, Hodari a alors acheté un terrain sur la colline Murago, zone Maramvya en commune Makebuko de la province Gitega.
Antoine Hodari, un cycliste ?
Pourquoi Hodari et non Kiraranganya comme se le demande l’autre partie en conflit ? Ce proche de la famille explique : « D’après ce qu’on racontait dans ma famille, étant très jeune, il était très costaud et athlétique. Il était tout le temps sur un vélo. Il pouvait faire des kilomètres et kilomètres sans se fatiguer. Il était célèbre, car il a reçu plusieurs prix dans des compétitions de vélo. Lorsque les Blancs chez le prince, ils disaient : « Uyo mtoto yiko hodari » (Ce garçon est intrépide). Son père l’a baptisé Hodari ».
Les descendants d’Antoine Hodari s’insurgent contre les propos de l’autre partie qui le traite de vulgaire cycliste. « C’est une insulte sans nom. C’était un homme très respecté. Il a été assesseur à Zege, à Maramvya puis il a été nommé juge à Maramvya. Qu’ils arrêtent de dénigrer notre parent !» Iwacu a pu avoir la fiche d’immatriculation de l’Institut national de la sécurité sociale (INSS) du dénommé Antoine Hodari.
Et la parcelle de Mubuga alors ?
Selon des témoignages, le Prince Joseph Kiraranganya n’a pas voulu retourner à Ruyigi à sa sortie de prison. Il s’est installé à Mubuga en province Gitega avec sa femme Marthe Muhimbare. « Boniface Kiraranganya est le dernier fils reconnu comme Samuragwa (héritier) par son père Joseph Kiraranganya tel que c’est démontré dans le livre généalogique de 1900 à 1930 », assure Marie Sindatuma.
Lambert Kwizera, un habitant de la zone Mubuga, indique que le seul propriétaire de la parcelle qu’il connaît est Eric Kira. « C’est le petit-fils de Marthe qui occupait cette parcelle. Je ne connais pas ces autres personnes qui la revendiquent. Je ne les ai jamais vus. Si on pose la question aux personnes très âgées, ils vous disent qu’ils sont des lointains parents. » Ce qui veut dire en bon kirundi : «Mu kirundi gitomoye n’ibisanira.»
Un ami de Boniface Kiraranganya, qui vit au Canada, a tenu lui aussi à donner des éclaircissements : « Depuis notre rencontre avec Boniface Kiraranganya en 1957 jusqu’à sa mort à Montréal, il ne m’a jamais dit s’il avait d’autres frères ou demi-frères. Je ne connais d’autres versions que celle que me racontait Boniface de son vivant. » Sur le seul héritier qui est Eric Kira, il répond : « Lors de diverses visites que je rendais à Boniface au Centre des soins, il m’a parlé de ce terrain qu’il souhaitait vendre, et il m’a dit qu’il avait donné plein pouvoir à Eric pour négocier et vendre ou exploiter la propriété à sa discrétion.»
Marie Sindatuma assure que le clan Hodari était au courant de ses démarches pour chercher le titre de propriété pour Eric. Et les autres de répondre : « Peut-elle montrer le procès-verbal d’une réunion de la famille ? Nous ne savons même pas comment elle a eu ce titre de propriété. » Sur la question de revendication après tant d’années, la succession Hodari explique : « On ne pouvait pas revendiquer alors que Marthe Muhimbare vivait encore sur cette parcelle. On attendait la levée de deuil pour le faire. Notre revendication ne concerne seulement pas la parcelle de Mubuga. Notre objectif est de récupérer toutes les parcelles du Prince Kiraranganya ».
Pour rappel, la succession Antoine Hodari a saisi le Tribunal de Grande Instance de Gitega le 9 mars 2020, mais le procès n’est pas encore programmé. Leur revendication : bénéficier des revenus provenant de la concession de la parcelle au même titre que monsieur Eric Kira. Ils ont demandé une mesure conservatoire afin de saisir les loyers provenant de la concession de la parcelle et de les abriter sur le compte du Tribunal de Grande Instance de Gitega en attendant l’issue du dossier sur le fond.
Une autre piste évoquée par plusieurs personnes sera un test ADN, un moyen sûr pour révéler les liens familiaux contestés. Cette affaire n’a pas encore fini de faire parler d’elle. La balle est dans le camp de la justice. Comme promis, Iwacu suivra l’affaire jusqu’à son dénouement.