Une veuve qui dit aujourd’hui avoir vendu en 1972 sa maison sous la contrainte. Une convention de vente sans témoin. Un acquéreur désormais expulsé mais qui dit avoir acheté de bonne foi. Iwacu tente de démêler l’imbroglio d’une affaire complexe.
1. 1972, une veuve, une maison de Ngagara
Le 3 janvier 1972, la Banque Nationale de Développement Economique (BNDE) vend à Immaculée Ntakatarusha et Sabin Ndayavugwa, respectivement épouse et frère de Stanislas Mpitabakana, deux maisons de type BJ, sises à Ngagara, quartier 5 n° 48 et 49. Des contrats de vente à tempérament (crédit)sont signés entre Mme Ntakatarusha, M. Ndayavugwa (acquéreurs) et la BNDE (liquidateur). La vente est consentie moyennant une somme de 44000Fbupar maisonque les acquéreurs s’engagent à payer dans un délai maximum de 7 ans. D’après des documents dont Iwacu dispose, un intérêt de 5% par an était appliqué.Trois mois plus tard, le mari de Mme Ntakatarusha est assassiné lors des évènements sanglants de 1972.
2. La veuve « vend » la maison
Après l’assassinat de son mari, Mme Ntakatarusha, signe le 24 octobre 1972 une convention de vente entre elle et Pierre Bizimana, frère de Bernard Kayibigi, alors procureur de la République en mairie de Bujumbura et voisin de la famille Mpitabakana. Aujourd’hui, la famille dénonce cette convention de vente et estime qu’elle était forcée.
3. La maison passe à un autre propriétaire
L’acquéreur, Pierre Bizimana, reprend la créance et le 25 octobre 1972, la Banque Nationale de Développement Economique atteste que Mme Ntakatarusha n’a plus aucun engagement envers la BNDE.Pierre Bizimana devient automatiquement « propriétaire » des maisons n° 48 et 49.
4. La veuve menacée
Sur cette vente aujourd’hui dénoncée, la famille indique que déjà le 15 novembre 1972, Mme Ntakatarusha avait écrit au ministre des Travaux publics, des Transports et de l’Equipement pour lui dire qu’elle a été l’objet de menaces et que des gens lui ont volé sa maison. La même correspondance a été adressée au président du parti Uprona. (Iwacu a consulté cette correspondance.) Après quinze jours, le ministre a accusé réception et a demandé à Immaculée Ntakatarusha de mettre un nom sur les visages. Mais, la plainte est demeurée sans suite. L’acquéreur a continué à jouir de la maison.
5. Décès contesté du nouveau « propriétaire »
Une année plus tard, Pierre Bizimana, le « propriétaire » meurt.Il est encore célibataire. Aujourd’hui, la famille Ntakatarusha doute de la réalité de la mort de M. Bizimana. Elle indique qu’elle n’a jamais vu l’attestation de décès.
Justin Nyakabeto se dit lésé ¢Iwacu6. Procuration au frère du défunt
Gervais Rwobahirya, père du défunt, signe devant l’administrateur communal de Matana (Bururi) désigne son fils Bernard Kayibigi, procureur de la république en mairie de Bujumbura de gérer l’héritage de son petit frère décédé.
En 1973, l’Etat met en place une commission chargée d’inventorier les maisons appartenant aux condamnés du 29 avril 1972 (« Abamenja »).Ces maisons devaient être vendues par l’Etat. Bernard Kayibigi apprend que désormais la maison qu’il gère, la maison n°48-49 du quartier 5 Ngagara a été aussi identifiée parmi celles-là.
Le 8 Janvier 1974,Bernard Kayibigi saisit Lucien Ndayisenga, le substitut du procureur général en mairie de Bujumbura pour lui indiquer que la commission a fait une erreur monumentale en attribuant cette parcelle à Stanislas Mpitabakana, mort durant les évènements de 1972. M. Kayibigi déclare la maison a été vendue à feu Bizimana, son petit frère.
7. Le transfert
D’après un document non daté,Bernard Kayibigi écrit au directeur des titres fonciers de bien vouloir transférer la maison jadis appartenant à son petit frère à son nom. Le 26 mai 1981, une annotation de transfert sort.
8. Nyakabeto entre en jeu
Le 24 avril 1981, M. Kayibigi vend la maison à Justin Nyakabeto, agent de la Banque Nationale de Développement Economique pour 1.400.000Fbu. Cependant, aucun témoin ne figure sur cette convention de vente. M. Kayibigi assure à Nyakabeto que la maison n’a subi aucun engagement hypothécaire, ni nantissement (caution) tant envers la banque qu’envers un privé. Un contrat de cession est signé entre Bernard Kayibigi, le cédant, et Justin Nyakabeto, le cessionnaire.
11 juillet 1985, M. Nyakabeto reçoit le titre d’occupation provisoire. Les années passent. En 2000, Justin Nyakabeto contracte un crédit à la BNDE dont il est employé. La maison n° 48-49 du quartier 5, Ngagara est hypothéquée. Il finit par rembourser sa dette en 2013.
Justin Nyakabeto s’estime lésé dans cette affaire. Il s’insurge contre la décision de la CNTB, alors que l’affaire était toujours pendante devant la Cour administrative, ce depuis le 25 octobre 2012. Dans une correspondance adressée au président de la République, il fait savoir qu’il a à sa disposition tous les documents qui attestent qu’il a acheté sa parcelle en bonne et due forme à M. Kayibigi. Il se demande pourquoi la CNTB discrédite ces papiers administratifs. Il va plus loin et demande l’intervention de son employeur, la BNDE. Selon M. Nyakabeto, une institution bancaire comme la BNDE n’aurait pas pu lui accorder un crédit s’il avait présenté de faux documents.
La famille Mpitabakana semble prendre la défense de Nyakabeto. « Nous n’avons rien contre M. Nyakabeto », déclare Jean Paul Butoyi, le fils de Ntakatarusha. Selon lui, seule la vente entre Immaculée Ntakatarusha, sa mère et feu Pierre Bizimana est illégale : « Un bien familial ne peut pas se vendre sans témoin. Puisque les deux maisons appartenaient à ma mère et mon oncle, où est passé ce dernier ? Ma mère, aurait-elle vendu sans son accord ? »
Nyakabeto dit qu’il acheté cette maison de bonne foi, et payé ses traites.
Les zones d’ombre
La famille Ntakatarusha indique que le prix qu’a coûté la maison n’est mentionné nulle part dans le contrat de vente entre la veuve et Pierre Bizimana. En outre, la famille estime que feu Mpitabakana n’avait pas qu’une seule parcelle à Bujumbura pour que la veuve se déclare incapable de payer : « C’est M. Bernard Kayibigi qui nous a volé notre maison ». Pire, Butoyi révèle que, d’après sa maman, les voisins et les amis, Kayibigi est venu chez euxavec des militaires et a menacé de tuer la veuve si elle ne donnait pas tous les documents de la maison : « Il est parti avec la valise où ils étaient conservés. Je n’ai pas osé le dénoncer de peur de subir le même sort que celui de mon mari », raconte aujourd’hui Mme Ntakatarusha.
Autre zone d’ombre :Il n’y a pas eu de transfert entre la veuve Ntakatarusha et Pierre Bizimana.
Mais côté famille Kayibigi, sa fille, Yvonne Nahimana, s’inscrit en faux contre ces accusations. Dans un procès verbal de la CNTB elle indique avoir vu dans les archives que la maman de M. Butoyi avait vendu la maison à son oncle Pierre Bizimana.
La famille Ntakatarusha avait perdu le procès sous feu Astère Kana. Mais elle n’a pas cédé. Le 8 février 2011, elle a réintroduit sa plainte auprès de la CNTB à l’organe chargé des recours.
Finalement, le 27 décembre 2012, la CNTB lui a donné raison.
___________________________________________________________
Lire aussi :
> Expulsion de la famille Nyakabeto : le rappel des faits
> Expulsion des Nyakabeto : après les arrestations, un jugement…
> Affaire Nyakabeto : réaction des politiques