L’ordonnance de mise en détention préventive n’est valable que 30 jours, bien que renouvelable de mois en mois. Un mois après son incarcération, les proches de l’ex-Premier ministre se demandent si la procédure sera respectée pour qu’il puisse être jugé.
« Compte tenu du contexte, c’est une éventualité difficile à envisager sous peu », laisse entendre d’entrée de jeu, un avocat qui a déjà assuré la défense des politiques.
Quand bien même l’article 3 du code pénal stipule : « La loi pénale est d’interprétation stricte. » De tous les juristes contactés, aucun d’eux ne voit le procès d’Alain Guillaume Bunyoni respecter la procédure pénale. « L’affaire est plus politique que juridique. Et dans pareil cas de figure, la défense n’a pas d’autre choix que de faire profil bas, surtout que les ordres viennent d’en haut lieu », observe-t-il.
Il fait savoir qu’en cas de fortes pressions de la part de la défense pour le respect de la procédure, le ministère public peut jouer les prolongations : « Sciemment, un magistrat peut décider que le prévenu reste sous les verrous parce qu’il a prolongé ladite ordonnance alors que les 30 jours ont été dépassés. Tout comme il peut l’inculper pour d’autres charges. »
Sa défense, jusqu’ici, n’a pas encore officiellement réagi sur les trois charges retenues contre lui lors de son arrestation, le 21 avril, à savoir : l’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat, l’atteinte au bon fonctionnement de l’économie nationale et la prise illégale d’intérêt. Et signalons qu’après sa comparution, deux autres ont été retenues contre lui. Il s’agit de la détention illégale d’armes et d’outrage envers le Chef de l’Etat.
Pour rappel, c’est dans l’après-midi du lundi 8 mai, à 15h que l’ancien Premier ministre, Alain Guillaume Bunyoni, est entré dans la prison de Ngozi. Ce, après qu’il ait été appréhendé, le 21 avril 2023, à Nyamuzi, zone Mubone de la commune Kabezi dans la province Bujumbura où il se cachait.
Analyse/ « Lorsque la poussière sera retombée, le Cndd-Fdd ne sera plus le même »
Après l’incarcération d’Alain Guillaume Bunyoni. L’opinion n’a cessé et ne cesse de se poser des questions, notamment pourquoi son arrestation n’est-elle pas intervenue plus tôt d’autant qu’il était soupçonné de préparer un coup d’État, sera-t-il jugé au cours d’un procès public en bonne et due forme, etc. Un politologue, qui a préféré garder l’anonymat, décrypte les tenants et les aboutissants de cette affaire et l’impact qu’elle peut avoir sur sa famille politique.
Alain Guillaume Bunyoni, ex-Premier ministre est désormais derrière les verrous. Selon plusieurs observateurs politiques, une arrestation qui aurait mis du temps à se dessiner. Selon vous, pourquoi avoir attendu, d’autant plus qu’il y a sept mois, il était soupçonné de préparer un coup d’État ?
Il convient sans doute de rappeler une chose : le président Ndayishimiye est l’héritier d’un système politique présidentialiste hyper personnalisé. C’est-à-dire conçu et consolidé depuis 2005 par et pour feu président Nkurunziza. Ceci vous dire que tous les appareils, sources, détenteurs et garants du pouvoir politiques étaient interdépendants avec la personne de Nkurunziza. Ici, je parle des 3 pouvoirs de l’État ( l’exécutif, le législatif, le judiciaire), des forces de sécurité et du parti. Et comme tout ce système tenait ensemble grâce à un jeu d’équilibre entre les différents courants en son sein, dont seul feu président Nkurunziza avait le secret ou plutôt le lien existentiel, notamment cette fameuse interdépendance. En témoignent tous les stratagèmes mis en œuvre en 2018 pour s’ériger en Guide Suprême du Patriotisme en 2018, derrière se cachait cette volonté de garder ce lien.
Ainsi, le candidat désigné du CNDD-FDD qui devait lui succéder en 2020, quel qu’il soit, devait être un maillon du système parmi tant d’autres.
C’est ainsi que par la force des choses Évariste Ndayishimiye est devenu président de la République, sans l’ombre de son prédécesseur, décédé quelques temps plus tôt. Mais le système lui, était toujours en place. Ainsi, Ndayishimiye se retrouvait certes chef d’État, mais il n’avait la main que sur une partie du système hérité de Nkurunziza. Il jouissait de plusieurs soutiens certes mais il n’avait pas encore cette carrure pour diriger / donner des orientations comme bon lui semble. Il était sans doute le seul héritier connu et reconnu de « Sogo » à la tête de l’État, mais il n’était pas le numéro UN, le chef incontesté du système en place, véritable détenteur du pouvoir au Burundi.
Ceci pour dire qu’il devait prendre du recul pour prendre certaines décisions ?
Comme durant toute transition ou changement, un temps de reconfiguration de ce système lui était donc nécessaire afin de consolider ses assises et son pouvoir. Il n’a rien de nouveau et cela a toujours existé. Il suffit de regarder notre histoire, celle de la sous-région et même celle du monde en général.
Pour revenir donc à votre question, il faut aussi souligner que le président Ndayishimiye avait mis la main sur un levier important du système décrit plus haut, l’appareil de l’État. Néanmoins, il n’avait pas les mains vraiment libres. Le contrôle du système ne lui appartenait pas encore. La confrontation avec Alain Guillaume Bunyoni est à placer dans ce contexte. Le délai entre limogeage de ce dernier à la tête du gouvernement et son arrestation correspond au temps nécessaire pour passer d’une étape à une autre. Ce temps pouvant être soit un temps de préparation soit une conjoncture favorable ou encore un changement de dynamique rendant aujourd’hui l’arrestation de Bunyoni possible et indispensable alors qu’elle ne l’était pas il y a sept mois.
Une chose est sûre : l’arrestation de Bunyoni a reconfiguré de manière irréversible les jeux de relations et de soutien au sein du système Cndd-Fdd.
Les rapports de force sont aujourd’hui en faveur du président, mais il faudra qu’il aille au bout de la reconfiguration pour que son contrôle soit total. Pour ce, il aura le choix de tout concentrer autour de sa personne dans un nouveau lien d’interdépendance, ou de veiller à créer des pôles de pouvoir différents et indépendants qui permettront de garder son nouveau système en équilibre.
Avec l’arrestation d’AGB, plus d’uns se demandent s’il y aura un procès public en bonne et due forme. Si tel vient à être le cas, quels scénarii sont possibles ?
Comme susmentionné, le contrôle du système sur tous les appareils est total malgré la reconfiguration en cours. A ce propos, le pouvoir judiciaire n’est pas en reste. Tant que le verrouillage du système n’est pas complet, ce à la satisfaction du président Ndayishimiye, je ne pense pas qu’il pourra se risquer à un procès public et en bonne et due forme. À moins qu’il ne veuille démanteler tout le système. Car, au-delà de Bunyoni, une telle entreprise ne serait, rien de moins qu’une mise en examen du système dont Ndayishimiye a hérité. Dans l’immédiat, une éventualité que je ne prends pas en compte.
Voyez-vous cette affaire servir de leçon au Cndd-Fdd ainsi l’aider à se réinventer, surtout qu’il est rapporté trop de divergences de vue voire des dissensions à venir…
Je ne suis pas sûr que le mot dissension soit approprié. Je ne l’utiliserais que dans un contexte où les factions ou les groupes estiment leur position ou leurs intérêts plus importants même que l’existence de leur parti. Ce qui n’est pas le cas pour le Cndd-Fdd. Ils ont plusieurs désaccords, mais ils s’accordent sur l’importance de protéger le parti (et le système) afin de garder la mainmise sur la gestion du pays. Je parlerais donc plus de factions, de mouvances ou encore de courants. Et au risque de me répéter, il ne s’agit pas d’un phénomène unique ou singulier.
Ceci dit, il existe effectivement des courants au sein de ce parti et ils subissent en ce moment, en même temps que les autres éléments du système les chocs de sa reconfiguration. Des rapports de force s’établissent, des alliances se nouent et se dénouent. Des allégeances se prêtent dans un effort de tous et de chacun pour garder sa place ou en obtenir une meilleure avec la nouvelle configuration. Lorsque la poussière sera retombée, le parti Cndd-Fdd ne sera plus le même. Mais sera-t-il pour autant transformé ou réinventé ? Ça dépend des attentes des uns et des autres. Et l’ampleur de sa « refonte », si jamais il y en a, bien sûr, dépendra de la volonté et de la capacité du nouveau chef à lui donner une impulsion nouvelle. Pour l’instant, il est difficile de se prononcer.
Propos recueillis par Hervé Mugisha
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