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Affaire Alexis Sinduhije : cacophonie autour d’une arrestation

05/05/2013 Commentaires fermés sur Affaire Alexis Sinduhije : cacophonie autour d’une arrestation

Rappel des faits

{Au moment où nous écrivons ces lignes, le président du Mouvement pour la solidarité et la démocratie, Alexis Sinduhije, est détenu dans les cachots de la police tanzanienne. Et son arrestation comporte encore plus d’une zone d’ombre :
– Même si le gouvernement burundais nie son être implication dans l’arrestation, l’un des avocats de M. Sinduhije affirme que Bujumbura a bel et bien actionné Dar-es-Salaam.
– Alors que la loi pénale tanzanienne prévoit un délai de 48heures pour qu’une personne arrêtée soit présentée devant le juge, Alexis Sinduhije ne l’a toujours pas été plus d’une semaine après. D’où la justice ne l’a pas encore entendu.
– A l’analyse des charges jusqu’ici formulées contre le président du MSD, il apparaît que son arrestation d’Alexis cache d’autres mobiles.
– Bien plus, il n’existe pas encore d’accord d’extradition entre Bujumbura et Dar-es-Salaam.}
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<doc2722|right>Une semaine après l’arrestation du Président du parti MSD à Dar-es-Salaam, Iwacu a joint au téléphone l’un de ses avocats tanzaniens, Me Herbert Nyange. Interview.

{Maître Herbert Nyange, où en est le dossier de M. Alexis Sonduhije ?}

Il n’a pas encore comparu devant le juge.

{De quoi est-il accusé ?}

Jusqu’ici, on ne sait rien. Mais à la police on nous a dit que le gouvernement burundais l’accuse de la mort du Représentant de l’OMS au Burundi, de son propre veilleur et d’avoir organisé le massacre de Gatumba.

{A propos de la mort de son veilleur, qui a porté plainte ?}

Le gouvernement burundais. Mais il se trouve que M. Sinduhije avait pu obtenir l’attestation de non-poursuite pour se porter candidat à l’élection présidentielle. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être devriez-vous poser la question au gouvernement burundais.

{Et à propos de la mort de l’ancien Représentant de l’OMS au Burundi, qui a porté plainte ?}

C’est encore une fois le gouvernement burundais.

{On raconte aussi qu’il voyageait sur un passeport dont la validité a expiré…}

Jusqu’ici, on n’a pas encore la confirmation de cette version.

{Où est-il détenu actuellement ? A la police ou dans une maison de détention ordinaire ?}

Il est encore à la police.

{Et qu’en dit la justice ?}

La justice n’en dit rien, parce qu’il n’a pas encore été présenté devant elle.

{Pourquoi n’a-t-il pas encore été présenté devant les juges ?}

C’est le gouvernement tanzanien qui ne l’a pas encore fait.

{Que prévoit la loi pénale tanzanienne en ce qui concerne la détention préventive ?}

La loi prévoit que quand une personne est arrêtée elle doit être présentée devant le juge au plus tard dans les 48 heures.

{Et ce délai n’a pas encore expiré ?}

Mais vous savez qu’il a été arrêté mercredi. Donc ce délai est déjà écoulé.

{Et que comptez-vous faire si Alexis Sinduhije n’est pas relâché ?}

Nous nous faisons notre travail, nous sommes en train de tout faire pour qu’il puisse au moins comparaître devant les juges. Nous allons aussi le voir la police pour nous enquérir de son état de santé. C’est tout ce que nous pouvons faire pour le moment.

{On parle aussi des démarches des diplomates de la mission burundaise de Dar-es-Salaam pour qu’il soit extradé au Burundi. Est-ce vrai ?}

Moi aussi je l’ai entendu. Mais ces gens je ne les connais pas, je ne les ai pas encore vus.

{Est-ce vrai qu’il y a aussi des véhicules des services de renseignement burundais venus spécialement pour ce cas ?}

Malheureusement, je ne suis pas spécialiste de l’identification des véhicules. Je ne peux pas savoir s’ils sont là ou pas. C’est possible.

{Interpol aurait été associé à l’arrestation d’Alexis. Est-ce vrai ?}

Oui. Jusqu’ici il est entre les mains d’Interpol.

{N’avez-vous pas peur qu’il ne soit extradé au Burundi ?}

Je ne sais pas… C’est possible.
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Trois charges contre Alexis Sinduhije

– {La mort du domestique d’Alexis Sinduhije}

Les faits

Dans la nuit du 18 au 19 février 2003, dans le quartier de Kinindo (sud de Bujumbura), près de l’Avenue du large, des hommes armés de fusils escaladent le mur du domicile d’Alexis Sinduhje, alors directeur de Radio Publique Africaine (RPA). Rien n’est volé mais le veilleur, du nom de Nzisabira, est tué au cours de l’attaque. Cette attaque est intervenue alors qu’Alexis Sinduhije venait juste de rentrer. Selon les déclarations de la famille Sinduhije aux médias, à l’époque, le veilleur a été tué en sortant de la maison après avoir entendu des gens s’introduire à l’intérieur de la concession.
Après avoir tué le veilleur, les assaillants sont partis « car ils croyaient avoir tué la personne visée. Comme le veilleur était de même taille que son patron, ils ont cru avoir atteint leur cible », disait un proche de M. Sinduhije. La mort du veilleur est intervenue quelques mois après l’assassinat du Représentant de l’OMS au Burundi, Dr Kassy Manlan. Et les reportages d’investigations entamées par RPA n’avaient pas été du goût du pouvoir de l’époque qui avait d’ailleurs transmis un avertissement à la radio. Cette dernière était accusée de vouloir se substituer à la justice. C’est pourquoi une certaine opinion va interpréter la mort de Nzisabira comme une manœuvre d’intimidation.

Prévenus

Au lendemain de l’attaque, la gendarmerie est arrivée au domicile d’Alexis Sinduhije pour faire le constat. Elle annonce l’ouverture d’une enquête sur cette attaque. Mais aucun suspect ne sera arrêté.

Jugement

Aucun jugement n’a eu lieu à ce jour. Car l’ex-gendarmerie censée avoir mené les enquêtes sur l’attaque du domicile de M. Sinduhije et la mort du veilleur Nzisabira (qui se trouve être son propre cousin) n’a jamais rendu ses conclusions.

– {Affaire Kassim Manlan}

Les faits

Dans la nuit du 19 au 20 Novembre 2001, le Représentant de l’OMS au Burundi, le médecin ivoirien Kassy Manlan, est assassiné. Son corps est retrouvé le lendemain sur les bords du Lac Tanganyika. Le Procureur général de la République crée aussitôt deux commissions d’enquête, une après l’autre, pour mener des investigations et poursuivre les auteurs.
Selon le rapport de la seconde commission, Gertrude Nyamoya, secrétaire particulière du Dr Manlan, est arrêtée. Sa défense oriente les responsabilités de l’assassinat sur les services de sécurité en général et plus particulièrement le service des renseignements.
La RPA, et surtout son directeur, Alexis Sinduhije, va parler de l’affaire.
Dans ses reportages, la radio déclare que Dr Kassy Manlan a été tué pour faire disparaître les traces des fonds de l’OMS, destinés à acheter des médicaments contre la malaria, et que le pouvoir aurait détournés. L’avocat belge représentant Me Gertrude Nyamoya, Bernard Maingain, accuse l’ex-président Pierre Buyoya et son épouse d’avoir commandité cet assassinat.

Les prévenus

Le 24 octobre 2003, le Procureur général de la République procédé à l’arrestation de certains responsables de corps de police. Il s’agit notamment d’Emile Manisha, alors directeur de la Police de sécurité publique(PSP), le colonel Gérard Ntunzwenzwenayo, alors N°2 de la Police de l’air, des frontières et des étrangers(PAFE), le commandant Aloïs Bizimana, en charge de la Brigade Kiyange au moment de l’arrestation, Japhet Ndayegamiye, chef de la documentation en mairie de Bujumbura au moment du crime et Athanase Bizindavyi, ex-directeur adjoint de la prison de Mpimba.
D’autres personnes, qui auraient prêté main forte dans l’exécution du médecin sont également arrêtées. Il s’agit de Matin Nuni, Parfait Mugenzi, Dieudonné Nkurunziza, Expert Bihumugani et Athanase Bizindavyi.

Le jugement

Quatre peines différentes sont demandées par le ministère public : la peine de mort à Emile Manisha, Gérard Ntunzwenayo, Japhet Ndayegamiye et Aloïs Bizimana. Le Ministère public demande une peine de servitude pénale à perpétuité pour les quatre autres accusés dans ce dossier.
Quant aux gardiens du domicile du défunt, dont la prévention se limitait à la non-assistance publique, ils voient leur peine portée à 15 ans de servitude pénale principale, tandis que les sentinelles du bureau de l’OMS sont libérées, car deux ans de prison ferme requis à leur encontre ont été déjà commués. 
Les prévenus vont faire appel du jugement devant la Cour suprême en juillet 2007. Un arrêt rendu par la chambre d’appel de la Cour suprême, en octobre 2008, va porter sur l’acquittement et la libération d’  Emile Manisha, Japhet Ndayegamiye et Gérard Ntunzwenayo.
Mais, en novembre 2009, la Chambre de cassation de la Cour suprême décidé de mettre en délibéré ce procès. Elle va réexaminer cette affaire après le pourvoi en cassation introduit par le ministère public pour contester l’arrêt rendu en octobre 2008 qui a porté sur l’acquittement et la libération des suspects.
Alors que l’affaire semble close, un avocat du barreau burundais et numéro deux du parti MSD, Me François Nyamoya, est arrêté le 28 juillet 2011 et écroué à la prison centrale de Bujumbura, sous le chef d’accusation de subornation de témoins dans le dossier d’assassinat du Dr Kassy Manlan.

– {Tuerie de Gatumba}

<doc2723|left>Les faits

Le soir du dimanche 18 septembre 2011, des personnes habillées en tenue de policiers attaquent un bar de Gatumba, tuent 39 morts et font  plusieurs blessés.
Le Président Nkurunziza décide de mettre en place une commission d’enquête pour faire la lumière sur ce massacre, avec un délai de 30 jours pour remettre son rapport. La commission d’enquête, composée de sept personnes, est mise en place le 21 septembre.
Mais un rapport des services de renseignement burundais qui accuse des opposants en exil pour le massacre de Gatumba filtre dans la presse. Le rapport du Service national de renseignement(SNR) cite notamment Agathon Rwasa, chef des anciens rebelles des Forces nationales de Libération (FNL) actuellement en exil, et Alexis Sinduhije, lui aussi en exil. D’après ce document confidentiel du SNR, le leader des FNL aurait agi depuis la République démocratique du Congo. Pourtant le ministre de l’Intérieur ainsi que le Procureur général de la République, avaient interdit et mis en garde quiconque divulguerait des informations en rapport avec ce massacre.
Le 18 octobre 2011, le Procureur général de la République du Burundi, Valentin Bagorikunda, annonce avoir reçu un rapport de la commission d’enquête sur le massacre de Gatumba. Mais les conclusions de ce rapport sont jusqu’ici inconnues.

Les prévenus

Avant même que la commission ne rende son rapport, une vingtaine de prévenus, dont un officier de l’armée, sont arrêtés, suspectés d’avoir participé, de près ou de loin, dans le massacre de Gatumba.
Mais, dans une lettre adressée au président de l’Association pour la défense des droits de l’homme(Aprodh), Innocent Ngandakuriyo, alias Nzarabu, et principal suspect dans le massacre de Gatumba, accuse certains hauts gradés de la police et des services de renseignements d’être commanditaires de ce carnage. Il s’agit notamment de Gervais Ndirakobuca, alias Ndakugarika, directeur général adjoint de la Police Nationale (PNB), Désiré Uwamahoro, commandant du Groupement mobile d’intervention rapide(GMIR), Kazungu du SNR et de Ildephonse Habarugira, chargé du renseignement à l’armée burundaise.

Le jugement

Le procès des auteurs et coauteurs présumés de ce massacre, et poursuivis pour crime contre l’humanité et vol qualifié, s’achève dans la confusion le mercredi 14 décembre.
Le procureur présente son réquisitoire en l’absence des avocats qui se sont tous retirés de ce procès, en dénonçant un déni de justice. Le procès concerne 21 prévenus qui ont toujours plaidé « non coupables. »
Devant le Tribunal de grande instance en Mairie de Bujumbura, le Ministère public a requis la prison à vie pour dix 10 personnes, 40 ans de prison contre onze prévenus jugés pour ‘complicité de meurtre ‘.
Les 14 avocats de la défense ont protesté contre ce réquisitoire prononcé sans la comparution des officiers de police nationale cités comme ‘planificateurs du massacre de Gatumba’.

Analyse : des charges contestables

Selon un des avocats d’Alexis Sinduhije, le leader du MSD (Mouvement pour la Solidarité et le Développement) a été arrêté sur demande de Bujumbura qui veut le poursuivre pour trois charges : l’assassinat du Dr Kassy Manlan, le meurtre de son domestique et la tuerie de Gatumba. A supposer qu’il s’agisse du massacre de septembre dernier, seule cette charge peut être compréhensible, du moins si on se place du côté du pouvoir qui prendrait un compte le rapport du Service national de renseignement(SNR) sur cette tuerie. Cependant, dans les différentes audiences publiques qui ont eu lieu sur cette affaire, de hauts responsables de la police et du SNR ont été cités par la défense, sans qu’aucun ne comparaisse. Le nom du président du MSD n’apparaît que dans le rapport du SNRsur le massacre de Gatumba, rapport dont le Procureur général de la République avait déclaré que la commission d’enquête ne s’inspirerait pas, et que même le gouvernement n’avait pas reconnu. La question est de savoir donc sur quoi se base la justice burundaise pour inculper M. Sinduhije dans cette tuerie.

Quant aux deux autres affaires, il apparaît aberrant que l’opposant burundais soit poursuivi, pour plusieurs raisons. Le dossier de l’assassinat de Kassy Manlan semblait avoir été clos par la justice burundaise, jusqu’à la récente arrestation de Maître François Nyamoya.
Onze ans après, la justice semble sortir de son coma pour rouvrir un dossier déjà prescrit par les délais, avec un zèle aux relents de vendetta. Les anciens prévenus dans cette affaire, qui ont été relâchés et réintégrés, pour certains, dans leurs fonctions, semblent vouloir en découdre avec ceux qu’ils considèrent comme sources de leur emprisonnement. Ces derniers étant, de surcroît, des opposants farouches du pouvoir, pourquoi ne pas faire d’une pierre deux coups ?

De la mort du veilleur de l’ancien directeur de la RPA, en 2003, aucun suspect n’avait encore été arrêté par la gendarmerie de l’époque et l’affaire semblait plutôt classée. Quoi qu’il en soit, il est difficile d’imaginer comment on peut vouloir tuer un domestique, son propre cousin, qui ose sortir à votre secours. Car feu Nzisabira a été abattu au moment où il sortait après avoir entendu des gens sauter le mur de la concession. M. Sinduhije aimait son cousin de domestique qui était à son service depuis plusieurs années. Selon des sources bien informées, il a même continué à aider les enfants du défunt.

De toute façon, ce zèle de la justice burundaise semble être un moyen de mettre à l’écart d’un gêneur politique plus qu’une simple volonté de chercher la vérité. Et pour paraphraser un certain homme politique local, « celui qui veut te manger ne manque jamais de sauce pour accompagner le plat ! » Car la sauce est là. Et pour cause !

Selon certains observateurs, Bujumbura voudrait saisir l’occasion qu’offre le dernier rapport des experts des Nations Unies sur la République Démocratique du Congo. Ce dernier, effet, présente Alexis Sinduhije comme l’un des dirigeants des groupes armés étrangers présents sur le sol congolais, notamment les Forces Nationales de libérations(FNL) normalement identifié à Agathon Rwasa. « Le gouvernement a sans nul doute estimé que le Président du MSD est très grillé sur le plan international pour avoir des soutiens, même en cas d’arrestation pas très régulière », a commenté un analyste.

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