Au cœur du conflit postélectoral burundais, se trouve la question de la légitimité des institutions issues des urnes pour gouverner et celle de l’ADC-Ikibiri à se constituer en force d’opposition pour proposer des solutions alternatives aux décisions gouvernementales et éventuellement pour constituer une alternative politique aux prochaines échéances électorales. <doc1706|left>Les deux protagonistes rejettent la légitimité de l’un et de l’autre, se crispent et partant contestent la légalité de leurs actions réciproques. Pourtant, l’un et l’autre protagoniste ont fait des avancées, certes timides, qui pourraient contribuer à sortir le Burundi de l’impasse politique et de la zone de conflit et de violence. « Un gouvernement de facto » Dans une déclaration qui condamnait fermement le massacre de Gatumba, M. Léonard Nyangoma a utilisé une expression passée inaperçue dans l’opinion publique. Elle constitue pourtant une première étape vers la reconnaissance formelle par l’ADC-Ikibiri de la légitimité des institutions politiques. M. Léonard Nyangoma prend acte implicitement du fait que le gouvernement de la République du Burundi est « de facto » comptable de la gestion du pays et de ce fait, de la paix et de la sécurité des citoyens. Cette expression anodine ouvre peut-être un chemin, certes encore étroit, que les deux protagonistes pourraient emprunter afin de vider le conflit post-électoral burundais. L’espoir est donc permis. Les deux protagonistes pourraient explorer ce concept de « gouvernement de facto » ainsi que « le plan de négociations » proposé récemment par l’ADC-Ikibiri afin d’en faire un premier pas vers le dialogue entre eux. _____________________________ – [Une année après sa création, l’ADC Ikibiri propose l’agenda des négociations->http://www.iwacu-burundi.org/old/index.php?option=com_content&view=article&id=3209] – [Nkurunziza (re)met les points sur les i : « Il n’y aura jamais de négociations. Attendez 2015! »->http://www.iwacu-burundi.org/old/index.php?option=com_content&view=article&id=3296] ____________________________ Par ailleurs, même s’il est encore contesté et boycotté par l’ADC-Ikibiri, le cadre de dialogue des partis politiques proposé par le gouvernement constitue un espace intéressant pour que « le gouvernement de facto » et « l’opposition de facto » renouent effectivement le contact. En réalité, ce cadre de dialogue des partis politiques constitue aussi une forme de reconnaissance implicite de la légitimité de l’opposition incarnée par l’ADC-Ikibiri par le pouvoir issu des urnes en 2010. Ce cadre de dialogue, pourrait permettre, moyennant i certaines précautions, d’organiser un débat responsable emprunt de respect mutuel entre les deux protagonistes. Au bout de ce débat ouvert, la reconnaissance mutuelle de la légitimité des institutions de la République et de l’opposition pourrait émerger. En outre, au cours de ce débat, une charte de l’opposition précisant les droits et les devoirs de celle-ci pourrait être discutée et adoptée. Continuer à considérer l’ADC-Ikibiri comme « une association illégale » ne contribue pas à la résolution du conflit postélectoral burundais. De même, continuer à considérer les institutions issues des urnes après le long processus électoral de 2010, c’est prendre le risque d’alimenter le conflit et d’installer durablement un climat détestable de guerre civile. En outre, si le débat et le dialogue entre le pouvoir et l’opposition sont acceptés et organisés, il serait possible de s’éloigner progressivement du langage mécanique et stérile de bandes armées et de rébellions en gestation. <doc1707|right>Ces crimes impunis qu’on se lance à la figure Afin de convaincre l’opinion publique nationale et internationale que le « gouvernement de facto » aux yeux de « l’opposition de facto » n’a pas de légitimité ou vice versa, il est devenu banal d’exhumer la liste des crimes supposément commis par l’un et l’autre protagoniste afin de se disqualifier mutuellement. Cette stratégie politique de disqualification mutuelle est cruelle et inefficace. Cruelle d’abord à l’égard des proches des victimes des massacres évoqués ; car elle réveille le traumatisme provoqué par ces crimes et, surtout, elle rappelle qu’ils sont demeurés impunis à ce jour. Elle est inefficace car les accusations réciproques pour des crimes très graves ne rapprocheront pas les protagonistes ni n’anéantiront l’adversaire. En outre, l’utilisation des listes des crimes impunis ne permet pas au « gouvernement de facto » et à « l’opposition de facto » de rester concentrés sur l’impérieuse obligation de résoudre la crise postélectorale qui constitue le cœur du conflit burundais. ____________________ – [L’opposition politique menacée de disparition ? L’ADC le croit->http://www.iwacu-burundi.org/old/index.php?option=com_content&view=article&id=2884] – [Pierre Nkurunziza, entre fermeté et optimisme->http://www.iwacu-burundi.org/old/index.php?option=com_content&view=article&id=2443] – [Annuler le scrutin et révoquer la CENI !->http://www.iwacu-burundi.org/old/index.php?option=com_content&view=article&id=1337] __________________ Évoquer les noms des crimes non élucidés imputables à l’un ou à l’autre protagoniste, se renvoyer la balle de la responsabilité criminelle présumée constitue également une diversion inutile. Ces listes de crimes impunis seront pertinentes dans le cadre du processus de la Justice Transitionnelle, de la Commission Vérité et Réconciliation et du Tribunal Pénal ad hoc. Pour le moment, il vaudrait mieux, par décence et par respect à l’égard de toutes les victimes, s’abstenir d’instrumentaliser ces crimes et d’en faire des arguments pour refuser le nécessaire dialogue destiné à vider le conflit post-électoral afin de retrouver une vie politique apaisée. Enfin, invoquer les crimes demeurés impunis risque de radicaliser les positions des protagonistes et offrir, comme seul horizon, le piège de la violence qui éloignera les perspectives d’une résolution pacifique du conflit. Cette diversion donne d’ailleurs une image déplorable du Burundi. La classe politique, qui a tant d’autres défis à relever pour sortir la population de la pauvreté en lançant notamment des chantiers d’envergure, ne devrait pas se « balancer à la figure » la liste des crimes impunis comme pour dédouaner son camp et faire croire que la vertu et l’innocence se trouvent uniquement dans son propre camp. Qui le croira ? « Ôte-toi de là que je m’y mette » C’est de bonne guerre. Tous les pouvoirs politiques en place aspirent à renouveler et à perpétuer leurs mandats en éliminant ou en affaiblissant l’adversaire, l’opposition. C’est de bonne guerre aussi, les oppositions politiques aspirent toujours à accéder au pouvoir en provoquant une alternance démocratique en gagnant les élections. Ce qui est choquant au Burundi, c’est d’une part, refuser la légitimité d’associations politiques du moment qu’elles opèrent dans la légalité et ne prônent pas la violence ou la guerre pour renverser les institutions issues du vote populaire. Ce qui est inacceptable également, c’est « la nyakurisation » (création d’ailes rivales) de ces partis en vue de les affaiblir, c’est la persécution de leurs militants et le harcèlement judiciaire à leur encontre. Ce qui est choquant, c’est d’autre part, le refus obstiné d’accepter la légitimité des institutions de la République à cause des résultats contestés des élections communales. Le processus électoral après les communales a ouvert un boulevard aux candidats à la présidentielle et aux législatives. En clair, l’ADC-Ikibiri, à son corps défendant certes, a offert le pouvoir sur un plateau d’argent à ses adversaires du CNDD-FDD qui n’en demandaient pas tant. En outre, l’absence prolongée de l’ADC-Ikibiri du jeu légal politique risque d’ouvrir un autre grand boulevard « au gouvernement de facto ». Celui-ci pourrait initier une réforme constitutionnelle renvoyant aux calendes grecques toute alternance politique au Burundi. Il faudrait déjà que « l’opposition de facto » lise très attentivement l’article 96 de la Constitution concernant le renouvellement du mandat présidentiel. Cet article stipule que « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. » Or, Pierre Nkurunziza a été élu une seule fois « au suffrage universel direct ». A bon entendeur, salut !