Le Burundi est signataire de plusieurs textes régionaux et internationaux sur le principe d’égalité. Pourtant, la loi sur les successions se fait toujours attendre. Des conflits liés au droit de succession restent une réalité. Des juristes montent au créneau.
Un conflit lié à une succession déchire une famille de la colline Nyamurenge, commune Marangara en province Ngozi. C’est un bras de fer engagé entre Evariste Mpozayomvugwa et sa mère, Marie Nsekerabanyanka. D’après eux, tout a commencé après la mort du père de la famille. « Notre mère a donné de vastes propriétés foncières à mes frères et sœurs, mais j’ai reçu une petite portion de terre », déplore Evariste Mpozayomvugwa. Selon lui, sa mère a voulu s’approprier une terre de marais qu’il exploite depuis longtemps. Celui-ci a refusé. Evariste Mpozayomvungwa accuse le chef de la colline Nyamurenge de se mêler dans ce dossier en soutenant sa maman: « Il a menacé de m’emprisonner. »
Néanmoins, Marie Nsekerabanyanka, mère d’Evariste Mpozayomvugwa, réfute toutes ces allégations. Elle fait savoir que son fils a usé de la force pour accaparer tout le patrimoine familial : « Je me suis opposée à cette décision unilatérale. » Les voisins affirment que ce conflit a dégénéré jusqu’à ce que la police intervienne.
Emmanuel Ntaconsanze, administrateur de la commune Marangara, indique avoir sollicité les forces de l’ordre pour arrêter les activités agricoles dans la partie litigieuse car les intéressés risquaient de s’entretuer. L’administrateur Ntaconsanze indique avoir demandé à ces gens de saisir les instances judiciaires.
« L’absence de cette loi fait prévaloir la coutume »
Pour Louis-Marie Nindorera, la ratification des textes sur l’égalité des droits est importante, mais il faut une mise en application. En l’absence de la loi sur les successions, explique-t-il, on fait prévaloir la coutume. Ce chef de mission au Global Right raconte que cette ONG a fait une étude en 2001 : «En dépouillant les jugements rendus en matière de succession dans plusieurs tribunaux du pays, nous avons constaté que les juges avaient une interprétation différente de la coutume. » Louis-Marie Nindorera fait savoir que chaque juge appréciait ce que la coutume était devenue, en fonction peut-être de son vécu, de son expérience et de son environnement. « Certains juges constataient une évolution de la coutume et d’autres n’étaient pas de cet avis », fait-il remarquer. D’une façon générale, constate Louis-Marie Nindorera, les juges interprètent la coutume d’une manière qui n’avantage pas la femme. Ce consultant en droit foncier et justice transitionnelle trouve que c’est une contradiction avec les principes ancrés dans différents textes qui énoncent l’égalité de tous en droits.
« Il faut lever cette contradiction sur le plan juridique »
Louis-Marie Nindorera estime que lever cette contradiction consisterait à faire une loi sur les successions qui dispose d’applications concrètes sur la signification de l’égalité homme et femme. A cause de l’absence de cette loi, ce consultant en droit foncier souligne que les hommes et femmes n’ont pas le même potentiel sur le plan économique : « L’un dispose de son droit de propriété et peut accéder au crédit ou microcrédit en hypothéquant la propriété. » Pour dégager les conséquences d’une telle situation, Louis-Marie Nindorera part d’un seul exemple : « 90% de la population est agricole.
Or, la population burundaise est composée de 51% de femmes, selon le dernier recensement de la population. Si la coutume est appliquée, plus de la moitié de la population ne peut pas avoir son potentiel économique de production parce qu’elle n’accède pas au microcrédit qui peut lui permettre de booster ses capacités de production. »
Il propose à certaines organisations de faire une expérience pilote en rendant propriétaire un groupe cible de femmes, de donner une formation en matière de l’utilisation de microcrédits et de voir ce que cela rapporte comme résultats en faisant une étude comparative. « On pourra alors l’étendre sur l’échelle national et tout le monde en profitera », explique-t-il. Et d’ajouter que cela montrera au gouvernement comment il s’enchaîne tout seul sur le plan économique, en perpétuant une loi coutumière d’inégalité.
« Les jugements prononcés en appliquant la coutume sont anticonstitutionnels »
Alphonsine Bigirimana, juriste, explique que le Burundi est signataire d’un bon nombre de documents juridiques régionaux et internationaux qui protègent les droits humains. Néanmoins, constate-t-elle, il n’est pas conséquent sur le plan interne car il n’a pas encore mis en place la loi sur les successions. « C’est une violation fragrante de la Constitution car les juges appliquent la coutume, une lacune qui cause préjudice aux femmes mais aussi aux hommes. » Alphonsine Bigirimana précise que cette situation de vide juridique met le juge dans une situation inconfortable car il fait recours à la coutume qui n’est pas la même au niveau de tout le pays. En plus, le juge en appliquant la coutume viole la Constitution car il s’agit d’une coutume discriminatoire : « Tous ces jugements prononcés en appliquant la coutume sont anticonstitutionnels et contradictoires. » La juriste souligne que le même tribunal pour des cas similaires apporte des réponses différentes et opposées et cela cause plus de désordre dans le pays.
Comme conséquence, Alphonsine Bigirimana souligne, par exemple, l’instabilité au sein des ménages. « Beaucoup de conflits sont signalés, des frères s’entretuent, des parents tuent leurs enfants ou vice-versa », fait-elle remarquer. Elle ajoute que différents tribunaux sont débordés par plusieurs procès liés à la succession.
En outre, la juriste constate que le développement durable du pays est impossible car le Burundi vit de l’agriculture : « La femme qui s’en occupe n’est pas propriétaire et ne va pas protéger la terre qu’elle ne contrôle pas. »
Une autre conséquence est que les enfants naturels qui ne sont pas reconnus par leurs pères évoluent dans la famille maternelle : « S’il s’agit de garçons, leurs oncles les chassent souvent en bas âge pour ne pas qu’ils réclament une parcelle car ils présentent un danger. » Alphonsine Bigirimana indique que ces enfants sont souvent dans la rue parce qu’ils n’ont plus de référence familiale.
Elle propose de mettre en place une loi qui réglemente les successions et de l’accompagner par des sensibilisations des hommes et femmes qui ne comprennent pas encore les avantage qu’elle apportera.