Les employés et les retraités de l’ISABU dénoncent un management agressif de la part de leur nouveau directeur général qui a pris ses fonctions en septembre 2020. Une accusation que réfute totalement ce dernier.
Tout sourire, M.Y nous accueille chez elle. Nous échangeons quelques amabilités mais très vite, le sujet de l’ISABU pointe son nez. « Avant, l’ISABU, c’était une merveille. Aujourd’hui, tout fout le camp ! », déclare-t-elle d’emblée. Et d’énumérer les griefs faits au nouveau directeur général : Des docteurs placés à des postes de titulaires de licence, des employés qui occupent un même poste pour un même salaire sans tenir compte des années d’ancienneté, des mutations abusives et injustifiées… Et d’appeler à une mobilisation générale de ses collègues. « Il faudrait que les employés de l’ISABU manifestent pour révéler la manière dont ce directeur nous malmène », fulmine cette dame.
D’après elle, les travailleurs journaliers qui œuvrent sur terrain font aussi les frais du management du nouveau directeur général de l’ISABU. « Il y a des journaliers qui exercent de petites tâches et à qui le nouveau directeur a exigé d’ouvrir des comptes en banque. Ces gens sont payés autour de 1500 BIF la journée. Une somme dérisoire qu’ils peuvent dépenser en une journée. Avec un aussi petit montant d’argent, d’où proviendront les frais de la tenue de compte ? »
Comme conséquence, selon elle, la recherche sur terrain s’amenuise. « Dans de nombreux cas, les journaliers ont refusé d’aller faire les récoltes car ils disent avoir été chassés de l’ISABU pour n’avoir pas créé de comptes bancaires. Avec cela, les récoltes étalées à l’air libre ont été emportées par les pluies, faute de suivi »
Son verdict sur l’avenir de la structure est assez sombre. « L’ISABU fond comme neige au soleil. En fait, si on n’est pas à l’intérieur, on imagine que la recherche est florissante alors qu’il n’en est rien du tout »
L’autre problème, d’après elle, celui des salaires. « Avec les gros soucis liés aux indemnités de fin de carrière, les employés ont dû passer trois mois sans se faire payer. Depuis septembre 2020 jusqu’à décembre ! ».
Et de préciser que pour décembre, les employés ont perçu le salaire du mois de septembre, pour janvier, celui d’octobre. En février, précise-t-elle toujours, les employés de l’ISABU ont perçu leur salaire pour tous les autres mois restants.
M.Y dit que cette situation a « enfoncé » les employés qui avaient contracté des crédits avec les intérêts bancaires qui n’ ont pas cessé de s’accumuler .
Des crédits solidaires devenus nocifs pour les salariés
D’après plusieurs sources au sein et à l’extérieur de l’ISABU, des crédits solidaires auraient été contractés à la CRDB par des retraités du temps de leur activité et des employés toujours en activité. « Aujourd’hui, du fait que ces retraités ne perçoivent plus leurs indemnités et donc pas en mesure de rembourser leur crédit, ce sont les actifs, avec déjà un maigre salaire, qui paient pour eux. Beaucoup sont au bord de la dépression. », s’indigne M.Y
Durant toute la durée de nos échanges, celle-ci ne tarit pas de mots durs à l’endroit de son directeur général : « Il se targue de partager des moments de détente avec le président de la République autour d’un verre d’alcool. Est-ce vraiment nécessaire de dire ce genre de choses quand on occupe le poste de directeur général ? Est-ce porter honneur au chef de l’Etat d’agir ainsi, à supposer que ce que raconte le directeur général est vrai ? » Et d’enfoncer le clou : « Il est d’une telle arrogance ! Il se croit maître du ciel et de la terre.»
L’épineux problème des indemnités de fin de carrière
Selon le statut révisé du personnel de l’ISABU de 2010 dans son article 17, le montant des indemnités de fin de carrière est calculé comme suit :
– Ancienneté de 10 à 19 ans de service : paiement pendant 2 ans du salaire mensuel net atteint
– Ancienneté de 20 à 29 ans de service : paiement pendant 4 ans du salaire mensuel net atteint
– Ancienneté de 30 ans et plus de service : paiement pendant 5 ans du salaire mensuel net atteint
D’après le procès-verbal de la réunion du Conseil d’Administration de l’ISABU tenue en date du 23 et 24 novembre 2020, la direction générale du budget au ministère des Finances, du Budget et de la Planification économique a donné au comité de direction de l’ISABU des instructions de nature verbale visant à ne pas inscrire sur la liste de paie les agents de l’ISABU en retraite normale.
D’après toujours le même document, en date du 29 octobre, la direction de l’ISABU a adressé une correspondance au Directeur Général du Budget et de la Politique Fiscale, lui demandant des éclaircissements sur la gestion du personnel en fin de carrière et subsides de l’ISABU. Et de rappeler que la non inscription des agents en retraite normale sur la liste de paie est contraire aux dispositions de l’article 17 du statut révisé du personnel de l’ISABU.
Le procès-verbal du Conseil d’Administration précise qu’en date du 12 novembre 2020, le Ministère en charge des finances a notifié à l’ISABU que l’octroi des indemnités de fin de carrière n’est pas autorisé par la loi budgétaire 2020/2021 qui stipule en son article 35 que toutes les annales ainsi que les primes sont gelées financièrement pour tous les établissements publics sauf pour les secteurs de la défense et de la sécurité.
Le document issu de ce Conseil d’Administration tient à souligner que la direction de l’ISABU a notifié au Ministère en charge des finances que l’article 35 de cette loi énonce le gel de primes et non pas le gel d’indemnités, y compris celles en fin de carrière. Le Ministère en charge des finances, révèle toujours le même document, a rejeté cette demande et a exigé de retirer sur la liste de paie le personnel en retraite normale. D’après le même procès-verbal, la direction de l’ISABU a obtempéré dans le but de ne pas paralyser les activités de l’Institut.
Ce à quoi réagit L.K, un retraité rencontré à son domicile : « Le directeur général ne nous a pas défendu comme il se devrait. Il aurait dû le faire jusqu’au bout ». Et de faire le parallèle avec l’Université du Burundi. « Pour l’Université du Burundi qui fût dans le même cas de figure que l’ISABU, le ministère de l’Education nationale a instruit l’Affaire auprès du Premier ministre qui lui a donné gain de cause ». Ce retraité d’un certain âge se demande pourquoi son directeur n’a pas agi de même avec son ministère de tutelle pour qu’il plaide la cause des retraités auprès du Gouvernement.
Pour finir, le Conseil d’Administration a souligné dans ce document que la décision d’octroi des indemnités de fin de carrière avait été prise par le Gouvernement du Burundi en 2010 pour fidéliser et stabiliser le personnel au travail. Pour le cas de l’ISABU, cette mesure aurait contribué à arrêter les départs imprévus des chercheurs, cadres et autres employés de la structure. Et d’estimer que la levée de cette mesure devrait attirer l’attention du Ministère en charge de l’Agriculture et de l’Elevage ‘’pour l’intérêt général du pays’’.
Pour les retraités qui ne perçoivent plus cette indemnité, c’est la tristesse qui règne. « Nous tirons le diable par la queue. Certains d’entre nous avaient mis en place de petits projets de commerce mais aujourd’hui, tout est tombé à l’eau. », déplore L.K.
D’après la liste des retraités, les indemnités mensuelles pour l’ensemble des concernés s’élève à 27.917.680 BIF. Des indemnités qui ne leur sont plus octroyées depuis le mois d’octobre 2020.
>>Réactions
Anatole Ntahimpera : « Le directeur général manifeste une attitude qui n’appelle pas au dialogue »
Le représentant du Syndicat des travailleurs de l’ISABU juge que le directeur général de l’ISABU s’est montré plutôt coopératif au début de toute cette affaire. « Au départ, nous étions sur la même longueur d’ondes, notamment sur la question des indemnités dues aux retraités ».
Selon M. Ntahimpera, c’est suite au refus d’octroyer les indemnités de fin de carrière de la part du ministère en charge des finances que le directeur général a changé de fusil d’épaule. « Depuis, il manifeste une attitude qui n’appelle plus du tout au dialogue. Suite à cela, nous avons décidé de porter l’affaire en justice »
Pour autant, le représentant syndical se dit toujours ouvert au dialogue avec son supérieur hiérarchique et ajoute même être prêt à retirer sa plainte si les discussions « produisent du positif ». « Apres tout, engager des procès en justice est assez perturbant et gênant », semble regretter le syndicaliste.
Alfred Niyokwishimira : « Je me suis vraiment battu pour les retraités »
Avec une voix très douce, le directeur général de l’ISABU rejette en bloc toutes les accusations portées à son encontre. « L’article 36 du statut révisé du personnel m’autorise, en tant que directeur général, de muter un employé d’un service à un autre. Et alors que veulent les gens qui t’ont dit cela ? Que soit appliqués leurs désirs à eux ou le règlement ? »
Concernant le gros problème lié aux indemnités de fin de carrière, le directeur général de l’ISABU assure avoir fait tout son possible pour défendre les retraités. Il tient à nous montrer la lettre du 29 octobre qu’il a rédigée à l’intention du ministère en charge des finances (Déjà évoquée ci-dessus) pour prouver sa bonne foi et ajoute. « Une réunion entre hauts cadres du ministère des Finances et de notre ministère de tutelle s’est même tenue où on m’a fait comprendre que ma cause pour les retraités était peine perdue ! »
Quand nous lui rapportons la façon dont des employés l’accusent de se targuer de partager des moments privilégiés avec le président de la République, il nous répond toujours d’une voix calme mais d’où on sent poindre la nervosité. « La personnalité du chef de l’Etat est sacrée ! J’aimerais bien être confronté sur un plateau avec la personne qui a osé dire cela ! »