Deux cent pages d’un combat intellectuel. Vingt-six années d’une lutte acharnée pour éviter à une nation le pire, ou sa répétition. « Le Cdt Martin Ndayahoze, Un visionnaire » de Rose Karambizi-Ndayahoze nous amène à la rencontre d’une période sombre du Burundi, et d’un homme exceptionnel, son mari.
Un recueil de rapports, d’éditoriaux et de correspondances. Voilà comment on serait tenté de résumer l’ouvrage du premier abord. Mais ce serait passer à côté du fond même du livre. Le « Cdt M.N., Un visionnaire » est un voyage dans le temps, une analyse lucide, un témoignage poignant sur un peuple manipulé qui entreprend une marche suicidaire, et à propos d’un homme qui veut se mettre en travers de cette course macabre, Martin Ndayahoze.
Le livre est subdivisé en deux parties. La première, qu’on pourrait aussi nommer « L’histoire d’un prophète qui prêchait dans le désert », regroupe les rapports et les éditoriaux de Martin Ndayahoze, produits entre 1967 et 1971.
Le Burundi s‘achemine lentement vers un gouffre que le Commandant, alors ministre de l’Information, semble être le seul à remarquer. Dans des rapports adressés au président de la République d’alors, le colonel Michel Micombero, Martin Ndayahoze ne cesse de dénoncer des plans visant à éliminer les élites d’une ethnie et à diviser le peuple burundais. Mais il ne se contente pas de dénoncer seulement. Il explique les racines du mal. Il démontre, démonte l’engrenage, propose des solutions, et dans ses éditoriaux, ne cesse d’appeler à l’unité nationale. Un appel qui ne sera pas entendu. En avril 1972, il est parmi les premières élites Hutu à être broyé par la machine génocidaire.
Les vertus d’une femme
La deuxième partie du livre illustre le combat de Rose Karambizi-Ndayahoze pour réhabiliter la mémoire de son mari et « des victimes Hutu et Tutsi du génocide Hutu de 1972 ». Une dizaine de correspondances adressées à diverses personnalités témoignent de sa lutte pour que la vérité soit rétablie. Elle n’agit pas dans une optique revancharde, loin de là. Pour elle, connaître la vérité sur le passé permet de construire l’avenir et de prévenir d’autres catastrophes.
Jamais une période de l’histoire burundaise n’aurait été analysée aussi lucidement, ni l’avenir sombre d’une nation prédit aussi fatalement. Pour certains, les écrits du commandant Ndayahoze peuvent réveiller des souvenirs douloureux, mais en sortir aigri serait méconnaître l’auteur. Sa vision transcendait toutes sortes de divisions et elle reste toujours d’actualité, dans la période trouble que nous traversons. Le courage extraordinaire de Rose Karambizi-Ndayahoze devrait nous servir d’exemple et nous pousser à nous lever comme un seul homme, et à dire, avec elle :«Plus jamais ça ! ».
Le « Che » burundais et son épouse
Atypiques, en avance sur leur temps. Révolutionnaires dans l’âme, intègres, patriotes, visionnaires. Autant de qualificatifs qui ne peuvent que définir superficiellement la personnalité de Rose et Martin Ndayahoze, êtres hors du commun, acteurs et témoins privilégiés d’un pan de l’histoire burundaise.
Un Hutu et une Tutsi (de surcroît rwandaise) se marient en 1967 contre l’avis de leurs proches et sous l’œil réprobateur de la société. Cela ressemble à un pitch d’un drame médiéval à l’issue fatale. C’est pourtant l’histoire des auteurs du « Commandant Martin Ndayahoze, Un visionnaire » et leur réalité dépasse de loin l’imagination débridée d’un jeune romancier.
L’issue de leur union n’aura pas dérogé aux canons dramatiques. Le commandant Ndayahoze est assassiné début mai 1972 avec d’autres milliers d’intellectuels Hutu, dans une purge sanglante organisée par le pouvoir. Cela aurait pu sonner le glas de leur histoire, comme pour la plupart de familles victimes de cette folie meurtrière.
Mais contrairement aux autres survivants, Rose Ndayahoze ne se mure pas dans le silence. Trahissant ses frères d’ethnie, elle fuit le pays en 1973 dans le dénuement total, avec trois enfants en bas âge, pour continuer le combat de son mari. Un heureux concours des circonstances ? Le destin ? Nul ne peut le dire. Mais l’histoire se devait de réserver une place de choix pour un homme de la trempe du commandant Ndayahoze.
Nés à la mauvaise époque ?
Martin Ndayahoze est un natif de Kamenge, de père Hutu et de mère Tutsi. Il est l’une des têtes pensantes de la Révolution du 28 novembre 1966 qui renversa le roi Ntare V et instaura le République. Il en est aussi l’une des voix les plus emblématiques, de par ses éditoriaux qui passaient à la seule radio de l’époque, la « Voix de la Révolution ». Il occupa de hautes fonctions au sein du parti UPRONA et dans le premier gouvernement de Michel Micombero.
L’année 1966 verra un autre bouleversement dans sa vie. Il se fiance à Rose Karambizi, une réfugiée rwandaise de l’ethnie Tutsi. Cette dernière avait débarqué au Burundi en 1958 pour compléter ses études primaires. Elle y sera rejointe par sa famille en 1960, fuyant la Révolution Hutu, qui venait de déposer dans la violence le pouvoir Tutsi.
En 1972, elle perd son époux assassiné par un pouvoir Tutsi. Elle prit alors le chemin de l’exil.
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EMOUVANT……
Quel récit émouvant!!! Madame Ndayahoze, je vous admire. Vous faites partie de ces femmes qui méritent d’être appelée « épouse », car toutes les femmes ne méritent pas d’être appelées comme cela. Vous avez défendu votre mari, même jusqu’après sa mort,jusqu’au bout. Quel courage. Quelle femme courageuse. Vous êtes la preuve vivante que les extrémistes n’ont pas leur place dans notre si beau petit pays.
Que toutes ces âmes mortes sous un pouvoir génocidaire reposent en paix.