Plus de sept mois après les crues de la Rusizi, la peur des inondations reste vivace à Gatumba. Les habitants réclament la tenue de la promesse d’effectuer des travaux de protection de leur zone. Ils sont à bout de patience. Reportage.
Commune Mutimbuzi, province Bujumbura, ouest de la capitale économique. Un ciel bien ensoleillé. Juste à quelques mètres du pont Gatumba, des traces des inondations existent. Nous sommes dans les quartiers Kinyinya I& II. Des habitants rénovent leurs maisons, reconstruisent les clôtures, enlèvent les tas de sables, de boues… qui avaient envahi leurs terrasses. Ceux qui ont vu leurs maisons totalement effondrées ont aujourd’hui des tentes. L’eau a reculé. Et tout semble revenir à la normale.
Néanmoins, ils ne sont pas rassurés. Ils pensent toujours à ces nuits cauchemardesques de mai 2020, à leurs biens emportés par les eaux, etc. « C’est très difficile de se sentir en paix tant qu’il n’y a pas le curage de la rivière Rusizi. On essaie de se réinstaller, mais nous ne sommes pas tranquilles », raconte I.G., un habitant du quartier Kinyinya I. Il ne doute pas que les crues récurrentes sont liées aux sédiments qui ont modifié la profondeur de cette rivière : « Autrefois, seuls les plus téméraires pouvaient s’aventurer dans cette rivière. On restait juste sur les rives. Elle était très profonde. Aujourd’hui, il n’y a plus de profondeur. Ce qui fait qu’en cas de pluie, elle déborde et envahit les habitations.»
Abdoul, un autre habitant de Gatumba, abonde dans le même sens. Il estime que les inondations d’avril-mai dernier ont été aggravées par le phénomène de la montée des eaux du lac Tanganyika : « La Rusizi est l’affluent du lac. Et avec cette montée, ses eaux n’avaient plus où se déverser. » Ce qui fait que le parc de la Rusizi a été inondé, a-t-il ajouté.
Ces deux hommes considèrent qu’outre le curage de la Rusizi, il est important d’ériger des digues. « Nous sommes tellement inquiets. On nous demande toujours d’attendre la construction des digues, mais apparemment rien ne bouge. Nous sommes au bout de notre patience », se plaint Sylvestre Niyonzima, un déplacé des inondations aujourd’hui casé dans un des sites de Gatumba. Il n’attend son salut que du président de la République : « Nous supplions le président de venir à notre aide. Que les travaux commencent. Vous constatez que les eaux ne se sont pas encore totalement retirées de tous les quartiers. Sans les digues et le curage de la Rusizi, on se retrouvera encore les pieds dans l’eau. »
Quid de la sécurité des élèves de Mushasha I& II ?
Avec les inondations de l’an dernier, les écoles fondamentales Mushasha I& II n’ont pas été épargnées. Après un moment de fermeture, les activités ont repris. Le 2e trimestre 2021-2022 vient de débuter. Même si l’eau s’est retirée des classes, d’une grande partie du terrain de recréation, la situation n’est pas rassurante. « Nos enfants ne sont pas vraiment en sécurité. Il suffit de quelques gouttes de pluie pour que le terrain soit encore inondé. Et nos enfants pataugent », se lamente M.Vyamungu, un habitant de Mushasha I. Il ajoute que même les enseignants sont obligés d’installer de petites mottes de sable, de pierres pour pouvoir se déplacer d’une classe à une autre.
Derrière l’Ecofo Mushasha I, un petit lac s’est créé. Rectangulaire, son périmètre est d’environ 300 m de longueur sur une vingtaine de mètres de largeur. C’est là que se trouvait un des canaux de canalisation des eaux. « Des enfants jouent autour. Or, des riverains y voient souvent un crocodile en mouvement. Ils peuvent même se noyer. Nos enfants courent un grand danger », alerte cet habitant de Mushasha I.
Ce qui inquiète la direction de cette école. « Nous avons vraiment peur pour nos enfants. Car on ne sait pas exactement les animaux qui se trouvent dans ce petit lac. Peut-être des serpents et d’autres animaux aquatiques », confie Vendrine Bagiruwiha, directrice de l’Ecofo Mushasha I.
Elle fait savoir que les enseignants et la direction restent en alerte : « Nous essayons de mettre des limites, mais les enfants sont très difficiles à gérer. Certains comme les petits enfants de maternelle, des premières années ne réalisent pas le danger. »
Interrogé sur l’existence des crocodiles dans ce ‘’lac’’, Mme Bagiruwiha dit qu’elle en a entendu parler : « Ces rumeurs existent. Ce sont surtout des pêcheurs qui disent que ces crocodiles seraient venus du lac Tanganyika, mais je ne peux pas le confirme.» Elle se félicite que jusqu’aujourd’hui pas de dégât enregistré à cet endroit. Et d’ajouter qu’il ne faut pas baisser la garde : « L’année scolaire est encore presqu’à son début. Nous devons redoubler de vigilance. »
Elle déplore que les inondations récurrentes aient réduit les effectifs de son école : « A l’Ecofo Mushasha I&II, on avait autour de 2000 enfants avant les inondations. Aujourd’hui, on ne reste qu’avec 800 enfants, leurs parents ayant quitté Gatumba pour se caser ailleurs. »
Pour relancer les activités, quelques semaines après avril-mai, elle indique que l’administration communale s’est beaucoup investie : « L’administrateur de Mutimbuzi nous a aidé pour protéger les locaux. Il nous a donné du ciment, des pierres, du sable pour essayer de bloquer l’eau. Mais cela reste provisoire et éphémère. »
Pour protéger durablement ces établissements, elle demande au gouvernement de clôturer ces établissements avec un mur en dur. « Cela serait salutaire et permettrait de mieux contrôler les enfants et d’éviter qu’à chaque pluie, on se retrouve les pieds dans l’eau.» Elle soutient aussi le curage de la rivière Rusizi et la construction des digues et d’autres canaux d’évacuation d’eau. Sans ces infrastructures, pas de doute, selon elle, que Gatumba vivra les mêmes scènes cauchemardesques.
Pour rappel, dans la foulée de ces crues de la Rusizi, des autorités avaient annoncé certaines mesures pour protéger Gatumba. La délocalisation de certains quartiers, comme Mushasha I&II était envisagée. Quant aux habitants, ils réclamaient la construction de digues. Ce qui faisait aussi partie des recommandations des experts environnementaux qualifiant Gatumba de zone inconstructible.
Le gouvernement à l’œuvre
Joint par téléphone, Anicet Nibaruta, directeur général de la police de la protection civile et président de la Plateforme nationale de prévention et gestion des risques des catastrophes, reconnaît que la situation est préoccupante : « En collaboration avec le secrétariat du conseil national de sécurité, nous avons envoyé des ingénieurs sur le terrain. Ils ont identifié les travaux à faire et ont élaboré un devis. Nous l’avons donné au PNUD, nous attendons le feedback.»
Il précise que les travaux programmés consisteront à faire le dragage et à stabiliser les berges de la Rusizi. Et ce, en plantant des arbres et des herbes. « Nous n’avons pas voulu amener les bulldozers dans la rivière pour faire le curage. Car nous ignorons les dégâts que cela peut causer». D’après lui, la priorité est d’empêcher le débordement des eaux pour envahir les quartiers.
Concernant la délocalisation, M.Nibaruta indique qu’ils ont délocalisé les locataires dont les maisons ont été inondées et détruites : « Nous leur avons recommandé d’aller se caser ailleurs. Chaque famille a reçu une enveloppe de 150 mille BIF comme frais de loyer. »
Aujourd’hui, il signale qu’ils sont en train de s’occuper des propriétaires : « Là où l’eau s’est totalement retirée, ils peuvent y retourner. Mais il y a des endroits encore inondés. Et là impossible d’autoriser les gens de s’y aventurer. » Il fait allusion aux quartiers Mushasha I & II et une partie de Gaharawe.
M.Nibaruta signale que le gouvernement est aussi en train de chercher des terres de délocalisation pour ceux qui se trouvent jusqu’aujourd’hui dans les sites de déplacés, suite à ces inondations.