Bonjour ou Bonsoir, suivant le coin du globe où vous êtes.
J’aimerais émettre quelques observations. Je n’ai pas eu le temps de le faire lors de la parution [de la critique de M. Rugero->http://www.iwacu-burundi.org/spip.php?article960], étant donné que je n’ai pas vu la pièce. Peu de temps avant qu’elle ne soit jouée, je me trouvais à Bujumbura et aurait aimé y assister. Malheureusement, mon timing ne l’a pas permis.
Etant donc moi-même friand d’histoire et de sociologie politique, j’ai eu le temps de voir passer le temps, dans notre pays et de rouler ma bosse.
J’ose donc faire quelques remarques à nos deux protagonistes présents :
[A M. Nsabimbona.->http://www.iwacu-burundi.org/spip.php?article1037] Sans être grand fan de Pierre Buyoya, je lui reconnais un grand mérite. Le Burundi n’aurait pas été ce qu’il est aujourd’hui sans les différents choix qu’il a pris, consciemment ou par contrainte. Aucune personne aujourd’hui ne peut se lever et dire que le problème politique au Burundi est basé sur l’ethnie. Depuis 2005, le pouvoir est de nouveau dans les mains du peuple, qui choisi souverainement ses dirigeants. Sans Arusha et ce win win process -sans gagnant ni perdant- on aurait été comme le Rwanda voisin. Un vainqueur qui s’impose aux vaincus VAE VICTIS. Aujourd’hui, le pouvoir se répartit de telle manière que les prétextes ethniques n’auront (je l’espère) plus leur place. Je suis conscient que beaucoup de personnes ont souffert dans le cœur et dans la chair de l’ethnisme, étant né avec le mauvais nez. Il y en a eu des Bahutu, il y en a eu des Batutsi. Et il existe un lourd contentieux de sang qu’il reste à régler. Et Buyoya, comme tant d’autres aura à répondre de ses années au pouvoir. Le Major Buyoya n’a donc pas que des mérites. Et j’aimerais juste savoir quel est le portrait dressé du président. Fusse juste juste un éloge, ou bien il se fit aussi critique que le sont certaines pièces à Bujumbura. Quel était le bottom line ? Dans le cas d’une perspective neutre, je ne pense pas que tirer son inspiration de Marc Manirakiza eut été la meilleure idée. C’est loin d’être la source la plus inspirée ou la plus impartiale.
[A M. Cishahayo.->http://www.iwacu-burundi.org/spip.php?article1043] Juste une réflexion. Vous avez émis une "brillante" critique de la critique (IMPORTANT à préciser) de la pièce. Pour m’être essayé, en amateur ou aux études, à l’exercice de la critique (artistique ou scientifique), je me rappelle que l’une des bases d’un tel exercice est le but ou l’objectif de la production en question. Or, il me semble, si je ne m’abuse, que l’ambition de la pièce était de revisiter nos mémoires… et non notre Histoire. Étant, je le suppose un intellectuel, j’imagine que vous savez très bien que l’Histoire (avec grand H) est une des différentes versions, visions, interprétations et même reconstructions de faits historiques assaisonnés de sauces mythiques dont les griots ou autres chantres ont le secret ; cette Histoire étant bien entendu la version des vainqueurs, et ‘bons’ de facto. L’Histoire du Monde occidental, de l’Afrique, de l’Humanité en sont que des exemples et les Islamistes, Sovietiques, Allemands, Japonais, Maconco, … pourraient nous en dire plus.
Pour en revenir à notre pièce, il est donc tout à fait normal que les livres d’Histoire présentent des faits au travers d’un prisme donné, ce qui est souvent le fruit d’une volonté politique. A plus forte raison, une œuvre artistique.
Ce qui m’a titillé, c’est moins cette sévérité envers le « jeune » Rugero comme vous l’avez souligné que le paradoxe de votre constat : « Aujourd’hui encore, le pays est à feu et à sang » et plus loin « (…) mais la situation que vit actuellement le Burundi, malgré ses évidentes limites, est de loin meilleure que les dictatures du passé ».
Pouvez-vous préciser en quoi cette situation est meilleure ?
Vous avez voulu amener le débat sur le terrain politique. Alors, allons y. Je vais vous dire pourquoi je suis d’accord avec vous. La situation est aujourd’hui meilleure parce que les gens au Burundi ne sont plus victimes de ce qu’ils sont mais de ce en quoi ils croient. On peut changer de parti ou de religion quand on veut, mais on ne choisit pas où et de qui l’on nait, ou plutôt de qui on hérite son identité.
Hier, les gens sont morts ou ont été discriminés parce qu’on les considérait comme des bahutu ou des batutsi. Aujourd’hui, il s’agit d’un autre son de cloche.
MAIS IL EST TOUJOURS PAS NORMAL QU’APRES TANT DE MORTS, ON CONTINUE A ÊTRE TUE.
Une vie n’a pas de parti ni d’ethnie. Il s’agit avant tout d’une personne avec des parents, des enfants, un conjoint qui se retrouvent dans la détresse et le désarroi, dans la peine et la douleur. Et rien ne peut justifier la mort de qui que ce soit. Et j’espérais personnellement avoir tourné la dernière page du chapitre sombre et sanglant de notre Histoire. Et voir que l’Histoire se répète est pour moi tout sauf un signe que la situation est meilleure. Mais peut être que le sens que nous donnons à ce qualificatif est différent. D’où ma question.
Je remarque aussi que, tout en reprochant la pièce d’exonérer Buyoya de ses crimes, vous semblez être bien rapide à lui faire porter ceux d’aujourd’hui en exonérant les responsables actuels. N’est ce pas une façon rapide de justifier l’injustifiable ? Là je remarque la passion qui prend le dessus sur la raison.
Et savez-vous jusqu’où ce jeu peut nous mener ? Je me rappelle de la Fable du Loup et de l’Agneau. Relisez la bien. Et faisons bien attention aux liens de cause à effet que nous établissons. Le Burundi est aujourd’hui le fruit de ce que les pseudo élites ont construit comme discours sur le soi et sur l’autre. Et il n’y a rien qui ne m’attriste le plus que des réflexions intellectuelles avec des interférences passionnelles. Je me demande si un jour je trouverai un texte d’un compatriote sans ‘sentir’ de quelle ethnie, parti ou région il est.
Et si je devais faire la critique de la critique de la critique, je dirai que ce fût une belle tentative, avec un manque d’adéquation entre le résultat et l’objectif et au final, un produit décevant au vu des moyens mis en œuvre.
En définitive, cette pièce, quelles que soient ses limites, aura eu au moins le mérite de bien faire couler de l’encre … et de la salive.
Jean Gashanga