Le Burundi célèbre le 1er juillet 2024 le 62ème anniversaire de son accession à l’indépendance nationale. Une indépendance perdue officiellement le 6 juin 1903, lors de la signature du Traité de Kiganda par le roi Mwezi IV Gisabo. La bravoure de ses armées, Abadasigana et Abahevyi, se battant avec des lances et des flèches, n’avait pu rien faire contre la puissance de feu des allemands, utilisant des fusils et des mitrailleuses.
L’indépendance acquise, les burundais sont tombé dans les pires des colonisations : clanique, ethnique, régionale et partisane. L’unité nationale a été mise à rude épreuve. Les conséquences ont été énormes. Peut-on se décoloniser et redevenir des burundais, enfants de la même patrie le Burundi
Analyse de Simon Kururu
L’histoire du Burundi indépendant a été marquée par des épisodes de conflits et de guerres qui ont fait couler des torrents de sang et de larmes. Il y a très peu de familles burundaises qui n’ont pas perdu des membres de la famille directe ou éloignée, des amis, des voisins et des connaissances. Chacun garde soigneusement caché dans son cœur des souvenirs douloureux que les commémorations diverses, avec leurs connotations claniques, ethniques, régionales, voire religieuses réveillent chaque année. L’unité des barundi a été mise à rude épreuve. De la colonisation européenne, on est devenu des colonisés par nous-mêmes, renonçant à être des burundais, et préférant porter haut l’étendard Hutu et Tutsi, tout en négligeant les composantes Baganwa et Batwa.
L’arrivée au pouvoir en 2005 du parti Conseil National pour la Défense de Démocratie – Forces de Défense de la Démocratie (CNDD-FDD) avait suscité un grain d’espoir. On espérait que ces enfants burundais, qui avaient abandonné les études au primaire, au secondaire, à l’université et les emplois dans le secteur public et privé pour aller se battre pour la justice sociale après l’assassinat du Président Melchior Ndadaye en 1993, allaient révolutionner le pays et le ramener sur la voie de l’unité, du travail et du progrès. La croix plantée dans le cimetière de Mpanda, sur la route Muzinda-Bubanza avec comme inscription « Ntihica ubwoko, hica ubutegetsi bubi – ce n’est pas l’ethnie qui tue, mais la mauvaise gouvernance », était une profession de foi d’une grande acuité.
De la colonisation clanique
Au niveau des clans, le Burundi indépendant a connu une rivalité féroce au sein de l’ethnie Baganwa, entre le clan des Batare, dont le chef de file était le Chef Baranyanka Pierre dans son fief de Kayanza et le clan de Bezi auquel appartenaient le roi Mwambutsa IV Bangiricenge et son fils le Prince Louis Rwagasore. Cette rivalité Batare-Bezi a conduit à l’assassinat du Prince Rwagasore, avec les conséquences qui s’en sont suivi. La lignée Baranyanka a vu disparaître par pendaison des fils d’une intelligence reconnue, qui auraient pu servir judicieusement leur patrie, Jean-Baptiste Ntidendereza et Joseph Birori.
La colonisation clanique a gangrené le pays sous différents régimes. Elle n’a pas épargné les régimes Micombero, Bagaza, Buyoya. On a fait la connaissance des clans Bahima (Bashingo, Bacaba, Bayanzi…), Benengwe. Avec l’arrivée des Bahutu au pouvoir, les appartenances claniques comme Abajiji, Abahanza sont à l’ordre du jour.
De la colonisation ethnique
Trois ans avant l’indépendance, alors que le vent de la décolonisation souffle sur le continent africain, le virus de la division ethnique est injecté dans la population. Le 24 mars 1957 au Rwanda, les divisions entre Bahutu et Batutsi font leur apparition avec la diffusion par 9 intellectuels dont Kayibanda Grégoire qui sera le 1er Président du pays, du « Manifeste des Bahutu ». Ces divisions prennent une tournure sanglante le 1er novembre 1959, avec le déclenchement de ce qui a été appelé « révolution sociale des Bahutu, Umuyaga-le vent» au Rwanda. Des milliers de Tutsi du Rwanda fuient vers les pays voisins. Une bonne partie arrive au Burundi. La transmission du virus ethnique, se fait à grande échelle. L’infection affecte les Bahutu comme les Batutsi.
Les événements du Rwanda affectent toute la zone frontalière. Ainsi, comme le note Melchior Mukuri dans son Dictionnaire chronologique du Burundi, Volume 1de 1850-1966, publié en 2011, le 13 novembre 1959, « les chefferies de Kunkiko-Mugamba, Ijeri, Butamenwa, Bukakwa-Bukuba, Bwamarangwe-Busoni, Mumurwa-nord et les sous-chefferies de Rugombo, Buziraguhindurwa, Rusagara, Rusororo, Murwi de la Chefferie Mushasha nord sont mises sous le régime militaire. L’action répressive des tribunaux y était suspendue et y était remplacée par celle des juridictions militaires. Cette mesure était dictée par le souci de protéger le Burundi des incursions éventuelles des bandes armées en provenance du Rwanda ».
Si le virus ethnique importé du Rwanda ne fait pas de gros dégâts jusqu’en1965, c’est grâce à la sagesse du Mwami Mwambutsa IV Bangiricenge, des conseils des évêques du Burundi spécialement Antoine Grauls et Michel Ntuyahaga et de la sagacité et ingéniosité du Prince Louis Rwagasore. Jusqu’à son assassinat le 13 octobre 1961, il veille à l’équilibre des ethnies au sein du parti de l’Unité pour le Progrès National (UPRONA), agréé le 5 janvier 1960 et de son gouvernement, qui obtient la confiance de l’Assemblée Nationale le 28 septembre 1961. Après la mort de Rwagasore, les divisions ethniques vont gangrener le pays. Par la suite, les assassinats politiques, les tueries massives vont saigner le Burundi de ses cadres en 1965, 1969, 1972, 1973, 1988, 1991, 1993, 2015, etc.
La fine fleur des Bahutu, Batutsi et Baganwa a été décimée, sous l’impulsion de quelques individus qui défendaient leurs propres intérêts et non l’intérêt général de tous les barundi. Les Barundi sont tombés très bas en ce qui concerne le respect des valeurs humaines qui sont « le respect, l’acceptation, la reconnaissance, la considération, l’écoute, l’ouverture, la coopération, le civisme, l’honnêteté, l’action juste, le partage, l’entraide, la solidarité la fraternité et l’empathie envers d’autres humains ».
Colonisation régionale
Les rivalités régionales ont-elles aussi perturbé le Burundi indépendant. En 1971, les Batutsi ont été affectés par le conflit entre les ressortissants de Bururi, Muramvya et Ijenda. Mais, la tendance régionaliste a continué de façon que le pouvoir ait été accaparé en grande partie par une seule région.
Malheureusement, ce régionalisme reste à l’ordre du jour aujourd’hui. Car, même au sein du CNDD-FDD, on sent et on entend des plaintes sur les privilèges considérables accordés aux ressortissants des régions d’origine de ceux qui détiennent les rênes du pouvoir.
Colonisation partisane
Adhérer à un parti politique est un droit pour tout citoyen burundais. Le grand problème est que les citoyens qui n’adhèrent pas aux mêmes partis se considèrent comme des ennemis et parfois, n’hésitent pas à s’entre déchirer et même s’entretuer. Et pourtant, militer dans un parti politique est un signe qu’on s’intéresse à l’avenir politique, économique, social, culturel, environnemental de son pays. La différence provient des stratégies et approches pour atteindre les objectifs fixés.
Ainsi, si les représentants des partis politiques avaient tous le souci de servir l’intérêt général, il n’ y aurait pas de place au vandalisme, aux saccages des biens des adversaires politiques, à leur emprisonnement, leur mise à l’écart dans la gestion de la chose publique et péché ultime, à leur emprisonnement et leur élimination physique.
On en est arrivé à une situation où certains burundais considèrent les partis politiques comme des tremplins pour s’accaparer des richesses du pays, quitte à marcher sur les cadavres de ses adversaires. On a vu le sort réservé au Prince Louis Rwagasore, à Melchior Ndadaye, et aux leaders des partis d’opposition sous différents régimes. Sans exception, les régimes qui se sont succédé à la tête du Burundi indépendant ont muselé les oppositions, et les ont, dans la mesure du possible, réduit au silence.
A méditer pour le 62ème anniversaire de notre indépendance
Depuis l’indépendance du Burundi jusqu’à la proclamation de la République le 28 novembre 1966, les Bahutu, Batutsi et Baganwa se « répartissaient quelque peu les rôles dans la gestion du pays ». Le Président Micombero a essayé de maintenir les équilibres ethniques jusqu’en 1969. Mais, à partir de cette année-là, tout a changé, et même basculé surtout avec les événements de 1972. Pour bon nombre de personnes, « les Batutsi ont monopolisé le pouvoir » jusqu’en 1993. La mort de Ndadaye a donné naissance à des gouvernements de consensus et de partenariat quelque peu hybrides.
Avec l’accession au pouvoir du CNDD-FDD en 2005, les Bahutu ont pris en main la direction du pays, les Batutsi, Baganwa et Batwa recevant ce qu’on peut qualifier de « petits lots de consolation ».
Pour ce 62ème anniversaire de l’indépendance, on devrait donc faire une évaluation des différents pouvoirs qui se sont succédé au Burundi et tirer une conclusion inspirée par les inscriptions en noir sur la croix du cimetière de Mpanda. C’est la mauvaise gouvernance qui tue et non les ethnies. Pouvons-nous espérer une bonne répartition des ressources nationales, le respect scrupuleux des droits de l’homme, la répression de la corruption et des détournements des deniers publics, et l’association de tous les burundais à l’œuvre de reconstruction et de développement du Burundi ? Un pari à gagner à tout prix. Si non, bonjour les dégâts.
Cette conclusion est vraie. « C’est la mauvaise gouvernance qui tue et non les ethnies. Pouvons-nous espérer une bonne répartition des ressources nationales, le respect scrupuleux des droits de l’homme, la répression de la corruption et des détournements des deniers publics, et l’association de tous les burundais à l’œuvre de reconstruction et de développement du Burundi ? Un pari à gagner à tout prix. Si non, bonjour les dégâts. »
Mais on ne doit pas occulter la vérité, il faut qu’elle soit dite et ques les bonnes bases soient établies, sans esprit de vengeance, mais de réconciliation et de reconnaissance des victimes et de leurs douleurs, toutes les victimes de tous bords. Les criminels qui ont commis le génocide, les actes de génocide, tous les autres crimes, et les bénéficiaires [du moins ceux qui sont encore en vie] des crimes doivent être exposés face à cette vérité.
L’esprit de vengeance, la peur des dirigeants eux-mêmes au passé lourd même avec amnistie les empêchent de bien servir la Nation. Ils sont encore prisonniers du passé et emprisonnent des nouvelles générations dans cet état de chose. Impossible de bâtir un avenir meilleur pour tous.
Il est grand temps que les Intellectuels Burundais de différents éthnies se mettent ensemble pour tirer le pays dans le goufre, faire un meilleur projet de socièté et ramener tous les enfants du pays dispersés au monde.Ainsi le pays será réscucité et tout le monde aura le droit chez lui.
Mr Kururu fait œuvre d’historien ici . C’est parfait je n’ai rien à y dire . Est ce que le passé a servi à quelque chose au Burundi ? Ma réponse est non . Nous continuons les mêmes erreurs du passé. Je suis ravi que Mr Ngendahayo prenne la parole . Il devrait aller plus loin en expliquant ce qu’a fait le Frodebu pour s’attirer la haine de certains militaires Tutsi ! Ce n’est pas interdit de penser que certains parmi eux avaient déjà juré la perte d’un Hutu avant même qu’il accède au pouvoir. Cependant le frodebu n’a t il pas aussi agité le chiffon rouge en déclarant qu’il allait en découdre avec les Tutsi et b***er leurs femmes !
Il y a beaucoup à dire
Merci à Simon Kururu pour cet excellent article hautement documenté, extrêmement mesuré et très constructif.
C’est un véritable patriote qui vient de s’adresser à ses compatriotes sans complaisance, mais dans le respect et la dignité.
Encore une fois, cher Simon merci et bravo !
Merci à (cher) Simon Kururu (et bravo) pour cet excellent article hautement documenté, extrêmement mesuré et très constructif, dit Jean Marie Ngendahayo. C’est un véritable patriote qui vient de s’adresser à ses compatriotes sans complaisance, mais dans le respect et la dignité. Desole Monsieur Jean marie Ngendahayo. Simon Kururu a omis consciemment de parler génocides? Aucun mot sur le (ou les) génocide (s). Commis par la dynastie des Bahima (Bahinda) après avoir renversé la monarchie des Baganwa.
Difficile de comprendre ce qui retient Simon Kururu à ne pas prononcer le mot génocide. Alors qu’on en compte depuis l’assassinat du Prince Louis Rwagasore. Tué sur commande d’un Muhima Musambo Jean Ntiruhwama. Puis. Une année après. 4 syndicalistes Hutu de Kamenge. Assassines par des rwandais sur demande du Hima Zenon Nicayenzi!. Des femmes rwandaises bahimakazi se feront le plaisir de lever leurs jupes et pisser dans les bouches des cadavres des 4 pauvres Hutus. Ah les Himas! Je rentre de la 9eme conférence internationale sur les génocides qui s’est tenue à Los Angeles, en Californie, du 23 au 26 Juin 2024.
Conférence organisée par l’INoGS , une organisation principalement basée sur la recherche et l’érudition, cette conférence qui s’est tenue cette année aux États-Unis rassemblait plusieurs survivants de génocides qui ont eu lieu partout dans le monde ainsi que professeurs, universitaires, étudiants, chercheurs indépendants, professeurs émérites, actifs dans le domaine des génocides ou des atrocités de masse.
A cette occasion comme Président Fondateur du Collectif des survivants et victimes du génocide commis contre les Hutus au Burundi en 1972, j’y ai fait une présentation inédite intitulée en anglais « Breaking silence and call on global recognition of the 1972 génocide against Hutus. First genocide conducted in silence with impunity in East Africa Great lakes region before Rwanda. Committed by the HIMA-Tutsi Dynasty. With conspiracy and complicity of 1959 Rwandan Tutsi refugees”
Premier génocide commis en silence et en toute impunité en Afrique de l’Est, région des Grands Lacs avant le Rwanda en 1994. Par la dynastie HIMA-Tutsi du Burundi. Avec la conspiration et la complicité des réfugiés tutsis rwandais de 1959 au Burundi.
J’en ai profité pour partager les conclusions des travaux remarquables de la CVR, mais, surtout la reconnaissance du génocide des Hutus par le Parlement en date du 20 décembre 2021, ainsi que les faiblesses perceptibles, voire l’incapacité du gouvernement du Burundi actuel à sortir une Loi punissant le génocide, afin de demander aux participants d’y contribuer en plaidant auprès des gouvernements de leur pays d’origine pour une reconnaissance internationale du génocide de 1972 contre les HUTUS du Burundi.