Ce vendredi 12 octobre, nous sortons le 500ème numéro de votre cher journal. Ce n’est pas beaucoup, diront peut-être certains. Mais à l’échelle du pays, dans le contexte que vous connaissez, ce n’est pas rien. Le « cimetière » des publications est assez peuplé au Burundi malheureusement…
500 numéros déjà parus aujourd’hui, sans interruption. L’occasion de regarder un peu dans le « rétroviseur ». Il y a 10 ans naissait donc Iwacu, un bimensuel en français et kirundi. On nous prédisait de disparaître de « mort naturelle », et en bas âge.
Une poignée de jeunes, sans aucune expérience, tous motivés et recommandés par leurs universités, étaient recrutés après un test portant sur la maîtrise de la langue et la culture générale.
Les débuts étaient difficiles. Je rends d’ailleurs hommage à tous nos patients formateurs. « Mutama » Jean Legastelois, un ancien du Centre de Formation des Journalistes de Paris qui a préféré passer sa retraite en formant les jeunes pousses d’Iwacu. Il répétait comme un mantra : « dans un papier, il faut aller à l’essentiel, donnez vite le message essentiel !». Jean et Sylvaine, son épouse, ont accueilli chez eux plusieurs journalistes en stage à Paris. Il y a le souvenir de Gaëtan, un Canadien qui avait en horreur les longues phrases des journalistes débutants et qui criait avec son accent de Montréal : « Mais c’est hallucinant ! ». Jean François Bastin, Laurence Dierickx, Frédéric Guizen, et bien d’autres qui ont partagé avec nous leur temps et leur savoir. Merci !
Mai 2008, nous avions juste trois ordinateurs et les journalistes se relayaient pour saisir leurs papiers. Je me rappelle avec amusement les empoignades d’Edouard Madirisha et Jean- Claude Bitsure, souvent accusé de « monopoliser la machine. » Il y avait un seul appareil photo, une voiture de location. Bref, c’était la débrouille, mais une grande volonté d’ avancer et d’apprendre.
Petit à petit, le bimensuel a fait son chemin. Il est devenu hebdomadaire , puis d’autres services sont nés : la Newsletter, le service anglais, la web radio, la web télé, la maison d’édition.
Aujourd’hui, Iwacu c’est un Groupe de Presse qui emploie près de 50 personnes. En mai 2015, Iwacu en partenariat avec un grand groupe kenyan allait devenir quotidien. La suite on la connaît.
Malgré tout, le chemin parcouru n’est pas si mal. On me dit souvent que « des journalistes partent. » Oui, c’est vrai. Je réponds que c’est parce que nous sommes un bon vivier. On vient puiser chez nous parce que l’on sait que nous avons de bons professionnels. A ce jour, une dizaine d’anciens d’Iwacu évoluent dans des ONG et autres grands organismes au Burundi. D’autres volent de leurs propres ailes dans les médias indépendants.
Nous vivons ces départs comme un signe de reconnaissance et la plupart des anciens d’Iwacu ont gardé avec la maison-mère des liens très fraternels. Je les remercie.
Une pensée à ceux qui nous ont quittés pour toujours : Léopold, alias « ma chance », Diomède, Isaac, Jean Bigirimana. Reposez en paix, chers amis.
Dix ans, 500 numéros. Et demain ? Qui sait de quoi demain sera fait ? Personne. Il faut juste continuer à exister. A faire ce qu’il faut faire et ce que l’on peut encore faire. Exploiter jusqu’au bout la fenêtre de liberté qui reste.
Je ne suis pas là, malgré moi. Mais ce n’est pas grave. Je ne suis pas indispensable. Iwacu tient. Comme disait Obama, il faut des « institutions fortes et non des hommes forts. » Je peux dire qu’Iwacu est une petite « institution. » Il ne s’est pas effondré avec mon départ.
Je pense que j’ai semé une petite graine. A d’autres de l’arroser, de l’entretenir. Je n’ai pas de doute pour cela.
Iwacu me dépasse, il doit me survivre. La relève est là, forte, engagée.
A l’occasion de ce 500ème numéro, j’exprime toute ma reconnaissance à tous les journalistes d’Iwacu, qui font tout pour faire correctement leur métier, dans un environnement très difficile. Merci aussi à tous ceux qui nous aiment, qui nous lisent et nous soutiennent.