Depuis la première élection présidentielle démocratique, beaucoup d’eau est passée sous les ponts. Malgré les contextes différents, la campagne du duel Buyoya-Ndadaye, d’il y a presque 30 ans, s’invite dans les meetings en cours.
Par *Egide Nikiza
L’élection présidentielle du 20 mai ne ressemblera à aucune autre depuis 2005. C’est une campagne totalement inédite. Depuis son lancement, le lundi 27 avril, deux candidats réussissent à attirer tous les regards sur leurs personnes. Autant par les foules impressionnantes que leurs meetings mobilisent que par leurs stratégies pour conquérir le palais Ntare Rushatsi de Gasenyi.
Les rassemblements d’Evariste Ndayishimiye, dauphin du président Nkurunziza, et d’Agathon Rwasa, représentant le CNL, sont des véritables démonstrations de force. Le premier jour, chacun dans sa province natale, le candidat du CNDD-FDD à Gitega et le candidat du CNL en province Ngozi n’ont fait que confirmer nos pressentiments : ce sera soit l’un soit l’autre à qui le président Nkurunziza passera le flambeau le 20 août prochain.
Mais un élément mérite particulièrement d’être mis en exergue. Les stratégies des candidats du CNDD-FDD et du CNL se rapprochent (malgré des contextes très différents) de celles des favoris à la présidentielle du 1er juin 1993.
« NEVA » pour la lutte contre la pauvreté
Le cheval de bataille d’Evariste Ndayishimiye est la lutte contre la pauvreté. Il l’a proclamé dès qu’il a été porté à la tête du parti. «Le jour où j’ai été élu Secrétaire général, j’ai dit que notre seul ennemi, c’était la pauvreté». Evariste Ndayishimiye ne cesse aussi de vanter «la paix et l’unité des Burundais» retrouvée depuis que l’Aigle plane au-dessus du Burundi !
Le développement, l’unité et la paix ? En 1993, le candidat Buyoya de l’UPRONA, alors parti au pouvoir, en avait fait son principal argument de campagne. « Les réalisations au Burundi sont une évidence. A l’intérieur du pays, nous avons axé notre politique sur le développement. L’électricité, les hôpitaux, les routes, les écoles, le développement de l’agriculture et l’élevage. Le gouvernement, soutenu par le parti UPRONA les a réalisés grâce à la consolidation de l’unité et de la paix ». (Traduction libre)
A l’instar de Buyoya, Evariste Ndayishimiye, fort de son expérience dans les institutions militaires et politiques comme dans les sociétés publiques, se targue de ne pas être un umwiga, c’est-à-dire un apprenti.
Rwasa, symbole du changement
Agathon Rwasa, de son côté, à l’instar de Melchior Ndadaye, candidat du Frodebu en 1993, se présente comme le symbole du changement, le candidat de la rupture vis-à-vis du pouvoir en place depuis 15 ans. Il s’inspire visiblement du premier président burundais démocratiquement élu.
Il a lancé sa campagne en province Ngozi, au stade de Muremera, le même où le candidat Ndadaye avait lancé la sienne le 16 mai 1993, il y a de cela 27 ans. Et son discours de jeudi en province Kayanza, à Butaganzwa, ne laisse planer aucun doute. Le leader du CNL croit être à quelques jours de son sacre.
Il y a 27 ans, Melchior Ndadaye avait tenu un discours similaire, alors qu’il était en campagne pour l’élection qui l’a porté au pouvoir «Il y a des gens qui vous disent que si vous ne votez pas pour l’UPRONA,’il s’ensuivra une guerre. C’est leur rengaine partout où ils passent, mais ce n’est que de l’intimidation. Ces upronistes qui se comptent désormais sur les doigts d’une main, ce sont eux qui vont engager une guerre contre 5 millions de citoyens ? S’ils engageaient cette guerre, nous les neutraliserions». (Traduction libre)
Bref, le Cndd-Fdd et le CNL ont tous deux confiance en 2020 comme c’était le cas en 1993 pour l’UPRONA et le FRODEBU. D’une part le CNDD-FDD peut faire valoir qu’il a remporté le référendum constitutionnel de 2018 à plus de 72%. Mais l’Uprona avait réussi à faire plébisciter la Charte de l’unité nationale de février 1991 à plus de 90%… D’autre part, le CNL a le privilège de ne pas être jugé sur base d’un bilan contrairement au parti au pouvoir depuis 15 ans. La crise de 2015 est encore dans les mémoires des Burundais, avec les conséquences qu’elle a entraînées. Blessure béante.
Mais un élément important à ne pas négliger, c’est qu’en 1993, le FRODEBU avait pu jouer une carte ethnique. Même si certains le contestent : «Sinon, Ndadaye aurait recueilli plus de 80% des voix et Buyoya n’aurait pas franchi le seuil des 20% », écrit l’ancien président Ntibantunganya dans son livre Démocratie piégée.
Le CNDD-FDD s’ «upronise» mais…
C’était une autre époque, c’était alors un duel entre un candidat Tutsi et un candidat Hutu. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, tout a changé depuis Arusha. Les deux candidats favoris sont de l’ethnie majoritaire. Et étant donné les foules que les deux favoris réunissent, la première semaine ne nous permet pas de dire avec assurance qui a débuté la campagne mieux que l’autre. Il est impossible d’anticiper sur les « secrets de l’isoloir », pourvu que l’on puisse garantir la sincérité du scrutin… Et il est connu que l’électeur burundais est très changeant.
Deux facteurs, deux inconnues vont déterminer l’issue de l’élection présidentielle du 20 mai prochain. Parmi les «supporters» du CNDD-FDD, n’y en a-t-il pas qui vont sanctionner le gouvernement sortant, alors qu’ils se joignent aux militants du parti dans les meetings par peur des représailles ? L’astuce avait déjà été utilisée par le Frodebu en 1993 contre l’Uprona !
Et les Burundais qui ne militent pas dans des partis, mais qui vont glisser leur bulletin dans l’urne, vont-ils voter massivement pour la continuité ou pour le changement ?
A la longue le CNDD-FDD s’ «upronise », mais il s’appuie toujours d’une façon efficace, en essayant de ne pas trop le montrer, sur une base « ethnique ». Bref il a des réserves objectives, mais par ailleurs il a un concurrent qui lui dispute cette même base, ces mêmes réserves. La tentation est donc très forte de peser sur le vote, d’intimider, de faire pression sur une CENI, qui est plus une CEN qu’une CENI…
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