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Politique

1972 : la bataille des mots

05/05/2013 Commentaires fermés sur 1972 : la bataille des mots

« Il est sans nul doute plus aisé, même si cela peut paraître parfois plus risqué, d’écrire sur l’histoire du Burundi ou du Rwanda quand on est ni Burundais, ni Rwandais. Quelle que soit l’objectivité de la démarche, on est du fait de la fracture identitaire actuelle, assuré d’avance de suspicions partisanes de la part de ses concitoyens qui y verront toujours la plume d’un Hutu ou d’un Tutsi ».

Historien et démographe, Evariste Ngayimenda est aussi Recteur de l'université du Lac Tanganyika, et un membre influent du parti Uprona ©Iwacu
Historien et démographe, Evariste Ngayimenda est
aussi Recteur de l’université du Lac Tanganyika, et un membre influent du parti Uprona ©Iwacu

Cet extrait de l’Histoire du conflit politico-ethnique burundais d’Evariste Ngayimpenda (Éditions de la Renaissance) résume parfaitement la perception que se fait le public burundais de tous ces écrits qui entourent l’histoire post-coloniale du Burundi en général, et les « grandes » dates de ses périodes sombres en particulier : 1965, 1969, 1972, 1988 et 1993.

Et si 1972 occupe une si grande importance dans ce répertoire, c’est qu’il a marqué de manière indélébile les consciences individuelles et collectives, par son ampleur, par la complexité (ses acteurs et ses raisons) des mécanismes qui l’ont créé et surtout par l’étendue méconnue (car souvent cachée) de ses conséquences dans la création/solidification de ce que les historiens appelleront {la fracture identitaire}. Après 1972, tout Burundais est, d’une manière ou d’une autre, soit Hutu, soit Tutsi. Avec une plus ou moins grande dose de « mal » inhérente à son ethnie, selon que l’on est de la même appartenance ethnique ou pas. Point.

Et ce malgré la propagande officielle (tutsi, dira-t-on) qui fera chanter Twese turi bamwe – Nous sommes tous les mêmes – puis, plus tard, la Charte de l’Union nationale, et enfin la venue de la démocratie.
D’ailleurs, au cas où l’on ne serait pas Burundais, on est de toutes les façons ou pro-Hutu, ou pro-Tutsi. Et ceci que l’on soit Africain, Asiatique, Américain, Européen, Belge, Palestinien ou Israélien, Noir, Blanc, Jaune, Rouge, Bleu, cadre d’une ONG, etc. Le monde, l’univers lui-même, est en deux camps.

Et s’il existe une catégorie de personnes touchées de plein fouet par cette bi-polarisation (littéralement, en kirundi, {ama-ca-kubiri}, ou les-divisions-en-deux), ce sont bien les historiens. D’où qu’ils viennent, quels que soient leurs mérites, leur « écriture de l’histoire », ou plutôt leur « lecture de l’histoire » est perçue comme toujours orientée vers l’une des deux ethnies.

Burundi 1972. Au bord des genocidesPourquoi ? Deux raisons principales :
– La première est liée à un fait que nous-mêmes, à Iwacu, avons expérimenté avec ce dossier spécial 1972 : l’accès aux sources. Le professeur Evariste Ngayimenda l’explique mieux : « Dans un tel contexte de clivage socio-politique, on ne doit pas non plus exclure l’effet d’un inégal accès à l’information de l’autre camp, même si la décrispation des esprits consécutive au courant actuel de libéralisation des médias a considérablement réduit le recours au tract et à l’oralité. » ((Ngayimpenda Evariste, Histoire du conflit politico-ethnique burundais, (Éditions de la Renaissance), p. 11))
D’autant plus que « quel que soit le niveau d’alerte du chercheur, il demeure un risque d’être garé sur de fausses pistes par des informateurs qui, ayant parfois à se reprocher, ont tout à gagner à travestir [ou taire, ndlr] les faits. »} ((Op. cit 1))

Commentant ce problème des sources, Jean-Pierre Chrétien rappelle « que l’historien n’écrit pas pour faire plaisir, mais quand c’est possible. » Parlant justement de l’ouvrage Burundi 1972, Au bord des génocides co-écrit avec le journaliste Jean-François Dupaquier, l’historien français explique : « Je n’ai pas attendu 2007 pour écrire sur 1972. C’est vrai qu’en 1972, j’ai écrit sous pseudonyme. Je ne voulais pas compromettre des amis car l’heure était grave. Mais une étude scientifique sur 1972 n’était pas possible à ce moment-là. Pour cet ouvrage, les enquêtes ont été faites entre 1998 et 2002. Et les gens que j’ai interrogés ont parlé : ils ne l’auraient pas fait avant ! C’est simple. Je ne pouvais pas écrire un livre en le sortant de ma tête, voyons ! D’autre part, les archives s’ouvrent de façon progressive. Il y avait un délai de 30 ans pour l’ouverture des archives. En 2000, j’ai fait ouvrir des dossiers aux archives diplomatiques belges : avant, ils étaient fermés »

– La seconde raison qui explique la lecture orientée des ouvrages sur l’histoire du Burundi, c’est que tous (ou presque) les historiens ou essayistes burundais qui écriront particulièrement sur 1972 sont « politiquement marqués », situés sur l’échiquier politique burundais. De par leur degré de participation, au temps de leurs études à l’Université du Burundi dans les activités de la jeunesse uproniste, ou de par leur réel engagement politique à des périodes différentes de l’histoire du Burundi, sans oublier, bien sûr, leur ethnie, on a vite fait de classer tel historien hutu, tel autre tusti.

Pour découvrir et les perceptions des uns et des autres, et le travail scientifique mené sur 1972, Iwacu vous propose une liste, non-exhaustive, de titres qui en parlent.

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