« JRR nguvu ! » , (JRR soyez fort !), c’était le slogan scandé par les militants de la Jeunesse révolutionnaire Rwagasore dans toute action musclée. Mouvement de jeunesse intégré à l’Uprona, la JRR devient avec les événements de 1972, très active dans les purges. Les jeunes, très mobilisés, jouent le rôle d’auxiliaires de l’administration locale, de la police ou de supplétifs de l’armée. Les témoignages sont accablants.
Des étudiants de l’Université Officielle du Burundi, qui sont pour la plupart membre de la JRR, au défilé du 28,novembre 1972. A cette date, les étudiants sont astreints à un entraînement militaire ©ArchivesDevenus une sorte de ’’fer de lance’’ ou de force à la disposition de l’administration, des jeunes militants hutu et tutsi de la JRR procèdent ensembles aux arrestations sous la supervision des commissaires ou des gendarmes. Des listes des personnes à arrêter sont données à ces jeunes fanatisés. Ce sont ces jeunes, la plupart mi-scolarisés, qui assurent les rondes nocturnes, irondo en langue nationale (peut-être du mot ronde, en français).
Selon plusieurs témoignages, petit à petit, les jeunes hutu membre de la JRR, vont constater avec amertume que les leurs ne sont pas épargnés. Certains, pas tous, vont se retirer.
Globalement, les « JRR » (Emile Mworoha est le Secrétaire Général de l’organisation) restent déterminés à aider l’administration : ils sont d’ailleurs appelés ’’Indarangavye’’, ceux qui restent toute la nuit éveillés et parés à tout.
Il y a un appel à la vigilance, kuvijira en kirundi (du mot vigile). On voit ces militants de l’Uprona, très zélés, ériger des barricades ou garder des barrières à l’entrée des quartiers ou sur les principales axes. Ils contrôlent les laissez-passer et rapportent toute anomalie constatée à l’administration ou à l’armée : « Il nous arrivait de prendre quelques initiatives, si telle personne avait des accointances avérées avec une personne déjà arrêtée ou embarquée, on le signalait ou on procédait à son arrestation. On le livrait par après aux autorités », souligne Hashim Youssouf, ancien membre du comité de la JRR à Muyinga. On l’appelle toujours ’’Conseiller’’. Il avait 25 ans lors de la crise de 1972.
Du haut des Ngeringeri, ces camionnettes de marque Chevrolet de 2,5 tonnes avec des feux au dessus de la cabine, des pleurs, des cris mêlés aux chants : « Nous étions tous hutu, notre rôle essentiel était de faire des rondes nocturnes. On avait des lances et des gourdins, quelques fois le commissaire, bien armé, passait nous voir à la barrière érigée à Gasenyi à l’entrée de la ville de Muyinga, les autres étaient du côté de Mukoni à la sortie de la ville », se rappelle Hashim Youssouf.
« On avait un cahier où l’on consignait les numéros d’immatriculation de tous les véhicules qui passaient. Quand les camionnettes Ngeringeri passaient, remplies de personnes arrêtées, on entendait des pleurs et des gémissements mêlés de chants, peut-être les derniers », souligne avec amertume Hashim Youssouf.
Selon lui, il y a des autorités qui étaient plus actives que d’autres, c’est notamment l’administrateur communal de l’époque et une autre personne qui s’appelait Barthélémy. « Il n’a pas hésité à tirer sur Bandiye, le percepteur communal des impôts au milieu du marché de Muyinga. C’était un Hutu, il était pourtant membre de la JRR, il était à vélo et il est tombé raide mort, un scandale. Les gens affolés par ce coup de feu ont abandonné tous leurs biens sur place. Ils couraient dans tous les sens, la débandade, un vrai remue-ménage. »
Mais toutes les autorités n’étaient pas mauvaises, poursuit Hashim Youssouf, il y avait un certain Ladislas, il a rayé de la liste des personnes à arrêter tous les noms des joueurs de l’équipe de football de la province de Muyinga.
Anecdote : « Un planton qui vivait dans le quartier swahili à Muyinga est venu complètement stupéfait nous raconter que le nom de Saleh Fundi, le fils de Fundi Radjabu, conseiller communal à l’époque et père de l’ancien président du CNDD FDD, était sur la liste des personnes à embarquer. Il a découvert cette liste quand il balayait le bureau de l’administrateur communal. L’intéressé qui a aussitôt pris le large ne comprenait pas comment son propre papa pouvait le trahir. Mais le pauvre conseiller communal était illettré », raconte Hashim Youssouf.
Je ne savais même pas me servir d’une arme à feu …
«J’avais 18 ans à cette époque, tout le monde était, qu’on le veuille ou non, soit militant de l’Uprona, pour les adultes, soit de la JRR, pour les jeunes. Il y avait même ce qu’on appelait ’’pionniers’’, c’étaient des écoliers, des futurs membres de la JRR et plus tard de l’Uprona », fait savoir Aly Ndayegamiye, à l’époque, jeune enseignant tutsi à Kabuyenge, un coin très reculé de la commune Bwambarangwe.
« Je n’ai pu enseigner à quelques deux kilomètres de chez moi que suite à cette crise de 1972. Il fallait remplacer les enseignants embarqués. Des enseignants rwandais sont venus en renfort, les écoliers étaient désœuvrés », signale ce jeune enseignant.
A la tombée de la nuit, poursuit-il, tout changeait, on enfilait les manteaux pour aller faire la ronde. « Les JRR se rassemblaient, Hutu et Tutsi. On ne faisait que se promener, on n’échangeait pas beaucoup, il y avait visiblement suspicion ou méfiance », se rappelle Aly Ndayegamiye.
« Quand j’ai dit au commissaire que j’avais peur, il m’a donné un fusil le lendemain avant la ronde. Cette arme avait un chargeur rond. Je savais que pour tirer, il fallait appuyer sur la gâchette, c’est tout. Au fil des jours le nombre des Hutu diminuait, ils fuyaient vers la Tanzanie », se rappelle ce jeune enseignant.
« Lors des fouilles-perquisitions opérées chez les Hutu aisés comme les enseignants ou chez le grand commerçant de Mukenke appelé Martin Baruzanye, le commissaire et d’autres fonctionnaires tutsi demandaient aux JRR de chercher des lettres venues du Rwanda. On en trouvait mais pas dans toutes les maisons fouillées. Ces lettres étaient toutes pareilles, avec un même contenu : ’Bagwanashyaka nimwatsinda tuzabaha amafaranga atagira uko angana’ (Chers compatriotes, après votre victoire, vous aurez en récompense beaucoup d’argent), se souvient ce jeune enseignant.
« Tous ceux qui avaient reçu cette sorte de tract ont été arrêtés, on ne les a jamais revus, on les amenait à Nzove à la frontière rwandaise ou à Murehe dans un domaine militaire à bord des Ngerigeri», raconte Aly Ndayegamiye.
« Ces jeunes gens se comportaient comme une véritable milice. Ces JRR étaient comme les soldats de première classe, ils n’avaient pas à réfléchir, ils s’exécutaient, c’est tout », tient à souligner Apollinaire Nsabimana, tutsi, aujourd’hui retraité. Il avait 29 ans en 1972 et travaillait comme secrétaire de cabinet au département civil du ministère de la Défense.