Au-delà des antagonismes ethniques, la jeune génération diverge sur la gestion de l’héritage sanglant de l’histoire récente du pays. Un débat des huit jeunes chercheurs du projet «Paix et Réconciliation régionale » autour de l’ouvrage sur le Commandant Ndayahoze a permis de dégager quelques peurs et attentes de cette jeunesse.
Il y a ceux qui soutiennent qu’il faut établir la vérité coûte que coûte, savoir ce qui s’est passé, pour éviter de refaire les mêmes erreurs dans l’avenir. « Il faut d’abord identifier les bourreaux et les victimes, pour éviter les amalgames », soutient fermement Fabrice Ndihokubwayo. Le jeune homme est rejoint par Gratienne Alida Iteriteka, qui pense que tous les évènements malheureux qui se sont succédé depuis l’accession du pays à l’Indépendance ne trouveront de solution que dans la vérité.
Et puis il y a ceux qui préfèreraient laisser le passé au passé, afin de se concentrer uniquement sur l’avenir. « On a tous perdu des parents, des proches. Est-ce que ressasser cela, retourner le couteau dans la plaie, va nous permettre d’avancer ? »s’interroge Kelly Mirabelle Karundikazi. « Des erreurs ont été commises dans le passé, et nous en assumons les conséquences maintenant. Est-il nécessaire de débattre et de régler des conflits qu’on n’a pas posés? », va plus loin Annie Belinda Iradukunda.
Est-ce un signe que les défenseurs de ces procédés diamétralement opposés soient d’ethnies différentes ? Non. Car Thaddée Kwizera se positionne au milieu de ces deux tendances, alors qu’il est de l’ethnie tutsi : « Dans le processus de réparation, étape incontournable pour atteindre la réconciliation, il faut rétablir la vérité préalablement». Mais tout de même, «cette recherche de la vérité ne devrait pas être faite dans un esprit revanchard », tient à souligner Gratienne Alida Iteriteka.
Les jeunes doivent se placer au-dessus de la mêlée
Mais avant tout, ces jeunes s’accordent sur un principe : « faire tout pour construire un meilleur avenir ». Un idéal qu’ils partagent avec le Commandant Ndayahoze. D’où leur soif d’arguments objectifs pour combattre toute sorte de divisionnisme, et pour cela la connaissance est essentielle. « En tant que jeune chercheur, il faut nous dévêtir de ces étiquettes ethniques, être impartiaux. C’est comme ça que nous aiderons les autres à passer le cap aussi », suggère Annie Belinda Iradukunda.
Ainsi chacun d’eux veut se projeter dans l’avenir, et pense à l’histoire qu’il racontera à sa descendance. « Que mon expérience te serve d’exemple …Vis ta vie selon ta conscience…Bats-toi pour tes idéaux». Des idées qui ne sont pas loin de celles du couple Ndayahoze, auquel ils vouent presque tous une admiration sans faille.
Une pensée, formulée par Gratienne Alida Iteriteka, résume parfaitement l’esprit de ces jeunes qui veulent prendre l’avenir de leur pays en main: « Être Hutu ou Tutsi n’est pas un problème. Il faut juste vivre son identité sans empiéter sur celle des autres. »
« Les jeunes doivent connaître le passé », dixit Aloys Batungwanayo
Modérateur du débat qui a eu lieu entre les étudiants-chercheurs ce 19 septembre à l’Université Espoir d’Afrique, le président de l’Association pour la Mémoire et la Protection de l’Humanité contre les Crimes Internationaux salue la retenue de ces jeunes dans un débat très sensible.
Les jeunes chercheurs ont bien lu le livre et l’ont apprécié. Certains se sont même approprié son contenu qui « rencontre leurs souffrances. » D’autres ont estimé qu’il faut pousser loin les recherches pour démêler le vrai du faux, mais surtout pour en savoir plus sur cette crise.
Ces jeunes sont conscients qu’il faut connaître la vérité, car celle-ci conduit aux différentes formes de réparations. Cette soif de la vérité est manifeste chez les jeunes dont certains n’avaient pas encore entendu beaucoup de choses sur 1972 ou n’avaient eu que des bribes d’informations. Ceci prouve que le débat sur le passé douloureux n’existe pas encore.
Un débat apaisé
Il importe alors de noter que la CVR n’aura pas la tâche facile dans sa mission sur la recherche de la vérité. La majorité des Burundais étant jeunes selon les statistiques de 2008, il y a risque de replonger dans des violences du passé, car dit-on, « celui qui ne connaît pas son passé est condamné à le revivre ».
La leçon que l’on tire de ce débat est que les jeunes ont envie d’en savoir plus sur le passé du Burundi. Mais la documentation est rare ou peu accessible, car même les livres qui parlent de l’histoire de notre pays se vendent rarement dans les librairies burundaises.
Une bonne nouvelle tout de même : malgré la crise sociopolitique que traversent les Burundais et l’implication des jeunes dans celle-ci, les huit jeunes (Hutu et Tutsi) ont pu discuter sur des sujets sensibles dans un climat apaisé. C’est un progrès et une résistance à la manipulation qu’il faut saluer. Bref, tout n’est pas perdu !