Mercredi 30 octobre 2024

Politique

1972, des conséquences multiformes

01/05/2013 Commentaires fermés sur 1972, des conséquences multiformes

La crise de 1972 a eu de nombreuses conséquences : une profonde cassure dans la société, la production économique va chuter, des rescapés vont prendre le chemin de l’exil et les parents hutu traumatisés n’osent plus envoyer leurs enfants à l’école. L’armée devient monethnique. Un bilan désastreux.

Sylvestre Ntibantunganya, ancien président de la République du Burundi et actuel sénateur ©Iwacu

Sylvestre Ntibantunganya : « La répression de 1972 est un génocide contre les Hutu »

L’ancien président de la République et actuel sénateur qualifie de génocide les événements de 1972. Il s’est exilé au Rwanda d’où il suivait ce qui se passait dans son pays.
Selon M. Ntibantunganya, la confiance entre les Burundais a été brisée : « 1972 a introduit des cassures profondes dans le tissu national burundais. On a commencé, cette fois-là, de manière systématique, à voir la société burundaise divisée en Hutu et Tutsi. » Il y a eu beaucoup de morts : « Les estimations vont de 100 mille à 300 mille victimes. »

L’ancien président évoque une rébellion à l’époque : « Il y a eu des morts, victimes de la rébellion hutue même si certains Hutu ont tendance à dire qu’il y a eu uniquement des exécutions sommaires de Hutu quand on parle de 1972. »
Pour Ntibantunganya, cette rébellion a été très rapidement contenue par l’armée, et elle aurait fait, « selon les estimations que j’ai eues, entre 800 et 3000 victimes. »
Lors des événements, cette rébellion hutu avait été d’une grande cruauté à l’endroit des Tutsi, avec visiblement l’objectif d’éliminer systématiquement, du moins si on se réfère à des écrits, souligne-t-il : « Les rebelles allaient même jusqu’à éventrer ! Le professeur Le Marchand l’a bien décrit à l’époque  ».

Et parmi les chefs de cette rébellion, il y en a qui vivent encore en Tanzanie, témoigne Ntibantunganya : « C’est par exemple Mpasha Céleus qui fut le chef de cette rébellion.

Le mot « répression » fâche

Par contre, ce que certains se plaisent- et cela est inacceptable- à appeler « répression », mais qui doit avoir un autre nom, aux yeux de Sylvestre Ntibantunganya, a fait, toujours selon les estimations, entre 100 mille et 300 mille victimes dans la communauté hutue qui a été totalement décimée au niveau de ses élites : « Ces mêmes exécutions ont emporté des jeunes élèves dans les écoles secondaires, sans parler des étudiants. »

Tous les Tutsi ne sont pas coupables, estime le président Ntibantunganya : « Mgr Joachim Ruhuna, en 1972, quand il était Recteur du grand Séminaire, a préservé les grands séminaristes. Il a même protégé les gens qui se sont réfugiés dans son établissement. Pour vous dire qu’il y a, dans ce pays, des esprits vraiment patriotes. »

A l’époque des massacres, l’économie s’est délabrée, explique l’ancien président de la République : « Cela se passe entre avril 1972 et 1973. C’est la période de récolte, notamment du café. Ça a été une catastrophe, parce que le café n’a pas été récolté à ce moment-là. »

« Des milliers de réfugiés »

Ntibantunganya évoque également le départ en exil de centaines de milliers de Burundais : « Ils vont principalement en Tanzanie, au Rwanda et au Zaïre. Des réfugiés de toutes les catégories : des fonctionnaires passaient dans les mailles des filets, les étudiants de l’université du Burundi et de l’Ecole Normale Supérieure (ENS) qui parviennent à échapper- et c’est très rare-, les élèves et la masse des populations rurales particulièrement au Sud et à l’Est du pays. » Ils étaient estimés, selon lui, entre 100.000 et 300.000 réfugiés à l’époque.

Le départ des enseignants est saisissant : « Dans les écoles qui étaient largement encadrées par les expatriés belges, soit missionnaires, soit coopérants, tous ces gens partent. Et lors de la rentrée scolaire 1972-1973, il y a des écoles qui se retrouvent sans encadrement. C’est pendant cette période là que l’on constate un autre flux des réfugiés notamment des écoles secondaires. » Et pour l’histoire de ce pays, précise-t-il, c’est à cette époque que Melchior Ndadaye va lui-même fuir. Il passe par la Tanzanie et remonte vers le Rwanda.

« Le Burundi paie des milliers de dollars d’amende »

La cohabitation entre le Burundi et ses voisins se détériore : « Il s’observe, à l’époque, une crise diplomatique entre le Rwanda et le Burundi, et entre le Burundi et la Tanzanie. Parce qu’avec les réfugiés, il y a eu des escarmouches qui continuaient. » Une fois, se souvient Ntibantunganya alors élève au petit séminaire de Mugera, il y a eu une attaque vers le sud du pays, et l’armée burundaise a poursuivi ceux qui avaient attaqué jusqu’en Tanzanie, faisant des dégâts dans un village tanzanien. Cela a causé un grave incident diplomatique entre nos deux pays, et Nyerere a fermé la frontière tanzanienne aux marchandises qui circulaient, poursuit-il : « Une sorte d’embargo. A cette époque, on n’avait plus de sel au Burundi. Il a fallu l’intervention de Mobutu, alors président du Zaïre (actuel République Démocratique du Congo) pour mettre fin à cette crise diplomatique entre le Burundi et la Tanzanie. Le gouvernement de Micombero a dû payer une centaine de milliers de dollars américains d’amende. »

Conflit Etat-Eglise catholique

Egalement, confirme l’ancien président burundais, c’est à cette époque qu’on peut fixer les origines de la crise entre l’Etat et l’Eglise catholique : «  Parce que parmi ceux qui étaient à la pointe pour dénoncer dans les milieux diplomatiques et internationaux ce qui se passait, il y avait des missionnaires blancs. Il y a une série d’hommes de Dieu qui ont écrit beaucoup à propos de cette crise. »

Au niveau de l’armée, tous les hutus ont été décimés dans les camps ou ailleurs. Ensuite, l’armée a été totalement fermée aux Hutu : « Les tout premiers effectifs hutu, de manière visible, vont réapparaître quand Mobutu a menacé d’attaquer le Burundi sous Bagaza dans les années 1980. Et ce dernier a recruté de gros effectifs militaires. Parmi les recrues dans le rang des hommes de troupe figuraient les Hutu, mais pas au niveau du corps des officiers. »

« La spoliation des biens des réfugiés officialisée »

La notion de « Bamenja » est venue avec 1972, se souvient Sylvestre Ntibantunganya : « Moi je considère la crise de 1972 comme un génocide, parce qu’il y avait la machine de l’Etat qui était impliquée, avec une ethnie identifiée comme devant faire objet de ce que les gens ont appelé « répression ethnique». »
Ntibantunganya annonce que le gouvernement, en 1972, a édicté une décision qui instituait les modalités de gestion des biens laissés par les « Bamenja » : «  Déjà avec des exilés, notamment au Sud (Rumonge et Nyanza-Lac), il y a eu l’accaparement de leurs terres, par des gens qui venaient soit de Bujumbura, des militaires ou des populations des zones rurales. »

Comme anecdote, il donne l’exemple d’un major de l’armée à l’époque (« qui vit encore »), que l’on disait qu’il avait amassé tellement d’argent et qu’il se plaisait à se nommer « 27 ans, 27 millions ». Selon l’ancien président de la République, il est parvenu à piller 27 millions à 27 ans à l’époque. D’après lui, véhicules, maisons, terres, etc. appartenant aux réfugiés ont été spoliés: « C’est pourquoi à Arusha on a décidé de mettre en place cette commission « Terres et autres biens » avec comme mission d’aider les réfugiés à récupérer les biens qu’ils ont laissés au Burundi en 1972. »

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