Le réquisitoire est terrible pour les 4 journalistes d’Iwacu et leur chauffeur. A l’audience, le public a entendu avec effarement que le Ministère public se base sur une blague de la journaliste Agnès Ndirubusa pour charger toute l’équipe de reporters de «complicité avec les rebelles.» Kafkaïen.
Les peines demandées ce lundi 30 décembre 2019 par le Ministère public pour les 4 journalistes d’Iwacu et leur chauffeur poursuivis pour «complicité d’atteinte à la sûreté intérieure d’Etat» sont lourdes.
Le réquisitoire a été prononcé à l’issue d’une audience publique d’environ deux heures au Tribunal de Grande Instance de Bubanza. L’affaire est mise en délibéré, les juges ont 30 jours pour se prononcer et donner leur décision.
A part les 15 ans d’emprisonnement pour ces 5 présumés, le substitut du procureur de Bubanza, Jean Marie Vianney Ntamikevyo demande que ces 4 journalistes d’Iwacu et leur chauffeur soient frappés d’incapacité électorale temporaire.
Il propose également la saisie de leur matériel, dont leur véhicule, leur appareil photo, les enregistreurs, leurs téléphones portables, leurs chargeurs, leurs carnets de notes et leurs cartes nationales d’identité.
Au cours de l’audience, le ministère public insistera sur un message WhatsApp échangé entre Agnès et un ami journaliste, Eloge Willy Kaneza, journaliste à Voices of America (VOA). Pour rigoler, Agnès avait écrit qu’elle se rendait à Musigati ’’pour appuyer la rébellion’’.
«C’est un ’’élément matériel’’ prouvant à suffisance la complicité des 4 journalistes d’Iwacu et leur chauffeur avec les rebelles dont il est question dans cette affaire », charge le substitut du procureur de Bubanza.
Selon lui, il est clair, qu’en se rendant à Musigati, dans les environs du lieu des affrontements, ils se serviront de leur qualité de journaliste pour ’’commettre leur forfait’’, «recueillir et diffuser des informations sujettes à renforcer la rébellion».
«Ils ne sont pas poursuivis comme journalistes, mais pour les faits leur reprochés », poursuivra Jean Marie Vianney Ntamikevyo tout en invoquant les articles 38 et 609 du Code pénal.
Stupéfaits, tous les collègues d’Agnès Ndirubusa, auteur de cette blague, diront devant la barre qu’ils ignoraient cet échange entre leur collègue et un ami. « Un autre fait important, la rédaction d’Iwacu n’a décidé d’envoyer des journalistes à Musigati qu’en fin de matinée, après un message du gouverneur de Bubanza, repris par Le Renouveau sur Twitter, tranquillisant sa population, car la situation était maîtrisée».
« Aucune intention de nuire »
Agnès Ndirubusa, juriste de formation et journaliste chevronnée, responsable du service politique au Groupe de Presse Iwacu a expliqué que ce message avec un ami est à placer au registre de l’humour noir pour déstresser.
«Nous avons parfois notre propre langage entre nous et il ne faut pas dissocier ce message de son contexte et vouloir le prendre mot pour mot, au premier degré. Si une maman dit à son enfant qu’il va le tuer, tout le monde sait qu’il ne le fera pas», se défendra-t-elle. Il est connu que les journalistes aiment se lancer des blagues.
Et ce n’est pas tout, «c’est étonnant que le Ministère public ne brandisse que ce message en ne mentionnant pas un autre où je dis que ’’nous allons en découdre avec ces gens qui veulent perturber la paix et les élections’’, à placer également au registre de l’humour noir».
Pour rappel, après leur arrestation, les journalistes ont été sommés de donner leurs téléphones et leurs codes d’accès. Les appareils ont été analysés par les services de renseignements. Cet en fouillant dans la messagerie WhatsApp d’Agnès que ce message a été retrouvé.
Un message « banal »que la journaliste avait même oublié. Il est évident que si elle avait un message compromettant, elle l’aurait effacé juste après l’envoi. Agnès Ndirubusa demandera au Ministère public- sans recevoir une explication convaincante, de produire des preuves montrant qu’elle était en ’’contact avec ces rebelles’’. «Vous avez passé mon téléphone au crible, il n’y a aucun message compromettant prouvant que je suis en contact, messages à l’appui, avec ces gens».
Quand les avocats prennent la parole, ils invoquent, la Loi sur la presse, le Code pénal, la Loi fondamentale et la Déclaration universelle des droits de l’Homme ratifiée et intégrée dans la Constitution de la République du Burundi.
Il sera question de prouver que leurs clients ne sont poursuivis que pour des faits non infractionnels. «Ce sont des journalistes, ils ont le droit de recueillir des informations sur tout le territoire national. Etre à Musigati ne peut pas constituer une infraction en soi».
Dans leur plaidoirie, les avocats de la défense diront que la complicité avancée par le Ministère public ne tient pas. «Elle ne peut pas se concevoir après les faits puisque ces journalistes sont partis à Musigati des heures et des heures après les affrontements (12h 15) et dans la collecte effectuée pendant 8 minutes avant leur arrestation, il n’y a pas d’intention de nuire».
1. Le Ministère public ne peut pas prouver que le fait de se rendre à Musigati en vue de récolter des informations signifie apporter une aide aux rebelles. Disent leurs conseils.
2. Par ailleurs, la situation sécuritaire dans la localité, selon l’autorité compétente, le gouverneur en l’occurrence, était censée être « maîtrisée ». Aucune mesure d’interdiction de se rendre sur les lieux n’avait été édictée, comme cela se fait parfois sur les champs de guerre.
Selon Me Clément Retirakiza, un des avocats des 4 journalistes d’Iwacu et leur chauffeur, il y a lieu d’espérer qu’après délibération des juges, le Tribunal de Grande Instance de Bubanza va les libérer.
«En tenant compte du principe du contradictoire dans la procédure judiciaire, les débats seront bien menés, avec un temps d’assurer la défense suffisant. Nous avons espoir que les juges tiendront compte des arguments fondés sur la loi avancée et nous osons croire que les 4 journalistes et leur chauffeur seront acquittés ».
Signalons que les 4 journalistes d’Iwacu viennent de passer 70 jours à la prison de Bubanza.