Népomucènne Miburo a été tué, à coups de bâtons, dans la nuit du 16 février 2014 par un groupe des Imbonerakure. Son seul crime : avoir plaidé pour plus de tolérance politique auprès de ses camarades.
Assise sur une natte, au bord des larmes, Anne-Marie Nzeyimana, la veuve de Népomucènne Miburo, lâche : « Sans Népo, rien ne sera plus comme avant. »
A la colline Ruzo, en commune Giteranyi, à 65 kilomètres du chef-lieu de la province Muyinga, l’indignation et la colère se lisent sur les visages. Et pour cause. La plupart se souviennent encore de la scène qui s’y est déroulé vers 19 h 30 le soir du 16 février.
Un jeune homme de 25 ans, père de deux enfants (un garçon de 3 ans et une fille de 4 mois) a été tué. Lorsque des proches amènent la victime au centre de santé de Ruzo, vers 22 heures, sa bouche est fracassée et il saigne beaucoup : « Le sang sortait de sa bouche, de ses narines et même des oreilles. »
Un rapport médical délivré par l’hôpital de Muyinga montrera que la victime est morte de suite des coups reçus qui ont perforé son foie, son pancréas et d’autres organes internes.
Que s’est-il donc passé le soir du 16 février ? Népomucènne Miburo était en train de griller des brochettes comme d’habitude dans le bar d’un ami. Un job qu’il faisait ponctuellement pour se faire un peu d’argent car il vivait principalement de la culture des champs.
Une mise à mort d’une violence inouïe
Selon plusieurs témoins, une discussion houleuse a éclaté entre la victime et Selemani Misago, alias Cheikh. Ce boucher et membre de la ligue des jeunes Imbonerakure, confie T.Y., qui a assisté à la scène : « La victime fustigeait le comportement de Selemani de molester les militants des autres partis, chaque soir. »
Selon toujours notre source, Selemani et un commerçant du nom de Gédéon, vendeur des bières et Mugabonifaranga, chef de colline, ils ont traité Népomucènne de « traître ». Ils l’ont accusé d’avoir changé de camp et rejoint le Frodebu Nyakuri : « Il a répliqué qu’il était toujours du CNDD-FDD et Imbonerakure mais, qu’il fallait être tolérant envers tout le monde. »
Après ces échanges, « Népo » a dit à tout le monde qu’il rentrait chez lui. D’après d’autres sources à Ruzo, il a pris un dernier verre chez des amis et leur a dit qu’il partait à la maison.
Mais le jeune homme est pris en filature à son insu. Vers 19h30, affirme une source, Selemani Misago, encouragé par Gédéon et Mugabonifaranga, s’en prend à lui : « Il l’a bousculé et a commencé à le frapper à l’aide d’un gourdin. » Les autres Imbonerakure selon les témoins assistaient et encourageaient Selemani en lui disant d’achever « ce chien de traître. »
A un moment, se rappelle notre source, Selemani a immobilisé par terre la victime et l’a piétiné. De la tête aux jambes. Tout en continuant à lui asséner des coups : « J’ai envoyé un ami chercher de l’aide au poste de police mais aucun policier n’est venu. » Notre source confie que lorsque Selemani et ses acolytes ont remarqué que Népomucènne ne bougeait plus ils se sont sauvés.
« Des excréments mélangés à du sang sortaient de sa bouche »
Vers 21 h passées, certains passants aident le père de Népomucenne à emmener son fils au centre de santé de Ruzo. D’autres accompagnent le frère aîné de Népo au poste de police. Selon des sources proches du bureau communal de Giteranyi, dans la foulée, un officier de police judiciaire a appréhendé Selemani, Gédéon et Mugabonifaranga.
Le lendemain 17 février, stupeur et consternation. Anne-Marie Nzeyimana indique qu’elle n’a pas reconnu son mari, défiguré : « Sa tête avait grossi et des excréments mélangés à du sang sortaient de sa bouche. » Le plus dur, confie encore la veuve de 22 ans, ce sont les cris qu’il poussait à chaque respiration. Plusieurs de ses côtes étaient visiblement cassées. Finalement, la victime sera conduite le même jour au centre de santé de Mugano à Giteranyi, puis à Muyinga où il meurt à 100 mètres de l’hôpital.
A l’annonce du décès de la victime, coup de théâtre. Les trois suspects sont exfiltrés de la prison et s’enfuient. Selemani est appréhendé deux jours plus tard par la police sur ordre du commissaire de police à Muyinga.
Gédéon et Mugabonifaranga sont quant à eux, revenus à Ruzo et circulent librement. Explication : Selemani Misago aurait avoué être le seul auteur du crime odieux. Il est derrière les barreaux à la prison centrale de Muyinga. Mais, sur la colline Ruzo, d’aucuns estiment que les trois personnes devraient être emprisonnées car elles sont toutes coupables, aux yeux de la population.
Népo a été enterré le 19 février dernier aux frais de la commune de Giteranyi. Actuellement, Anne-Marie Nzeyimana ne sait pas ce que deviendront ses deux enfants. Leur père n’avait ni parcelle ni maison : « Comment vais-je nourrir mes enfants, payer la maison d’une chambre et un salon que nous louions à 4000 Fbu le mois ? » Mais par-dessus tout, elle demande justice pour son mari.
Après l’assassinat de « Népo », les réactions n’ont pas tardé
Sévérin Nkurunziza, président du Frodebu Nyakuri à Muyinga, n’y va pas par quatre chemins. Il assure que Népo a été tué parce qu’il avait rejoint le Frodebu Nyakuri : « Il était très actif et avait ramené beaucoup de jeunes du CNDD-FDD dans nos rangs en peu de temps, ce qui n’a pas plu aux Imbonerakure. » La preuve, souligne-t-il, lorsque Selemani était en train de frapper la victime, Mugabonifaranga et Gédéon l’encourageaient en lui disant d’achever ce « traître ».
« Faux ! », rétorque Laurent Nduwimana, administrateur communal de Giteranyi, pour qui ces allégations sont sans fondement. Selon lui, la mort de Népo résulte d’un pari idiot qui a tourné au drame. « Selemani et Népo avaient parié pour savoir qui des deux étaient le plus fort. » Ils ont, poursuit-il, versé chacun 5000 Fbu à une personne avant de se battre. Toutefois, Laurent Nduwimana ne donne pas l’identité de la personne qui a gardé les 10 mille Fbu, ni n’indique le lieu ni l’heure de ce pari.
Anne-Marie Nzeyimana qualifie les propos de l’administrateur communal de cyniques. D’après elle, il est inconcevable qu’une autorité avance de telles élucubrations. « Les côtes de mon mari ont été écrasées, sans parler des organes perforés. Peut-on appeler cela un pari idiot ? » Elle soutient qu’il s’agit d’un assassinat. Concernant l’appartenance politique de son mari, Mme Nzeyimana persiste et signe : « Mon mari était un Imbonerakure. »