Vendredi 22 novembre 2024

Politique

Rwasa, quelques mois avant 2015 (suite et fin)

25/09/2012 Commentaires fermés sur Rwasa, quelques mois avant 2015 (suite et fin)

Il n’y a pas de suite ! Tout simplement parce que le récit d’hier est un scénario qui introduisait mon point de vue sur le « cas Agathon Rwasa », ce politique qui abandonna sa position de leader pour d’obscurs calculs …

Agathon Rwasa : «  Le terrorisme d’Etat ne rime à rien, s’ils veulent rester au pouvoir, qu’ils y restent d’une façon correcte. » ©Iwacu
Agathon Rwasa : « Le terrorisme d’Etat ne rime à rien, s’ils veulent rester au pouvoir, qu’ils y restent d’une façon correcte. » ©Iwacu

Au moins, le gong d’alerte pour aurait dû sonner plus tôt, le 1 et le 2 juillet 2012. En ces temps-là, la Radio Télévision Belge Francophone s’intéresse beaucoup au Burundi, qui fête ses 50 ans de proclamation d’indépendance. Fait rare, comme l’eut souligné une consœur de France 24, la RTBF consacre deux « Une » spéciales à son ancienne colonie. Et comme c’est du journalisme équilibré, professionnel, respectueux, etc, on fait parler les images, la rue, la société civile, les officiels, et l’opposition. Lors de ces deux reportages consacrés à la situation au Burundi, les opposants au pouvoir Cndd-Fdd qui apparaissent sur la télévision belge sont, d’une part Alexis Sinduhije, président du MSD, puis, le lendemain, François Nyamoya, son porte-parole…

Au bout de ces deux séquences, que garde en tête celui qui ne connaît rien, à l’histoire du Burundi ? Qu’une ancienne colonie belge peut basculer d’un moment à l’autre dans la guerre suite au harcèlement souvent sanglant du parti au pouvoir à l’encontre des membres de la société civile et de l’opposition.
Et si on lui demande : quelle est la figure de cette dernière ? Ce sera le MSD.
Subtil jeu de communication politique, puisque, au cas où vous n’auriez pas établi la relation, le citoyen belge est le premier donateur du Burundi. Influer sur sa perception de la situation du pays permet de moduler les fameuses conditionnalités d’aide, qui sont d’autant plus scrupuleusement brandies par les autorités belges que le panier du contribuable belge dans lequel la machine de coopération puise l’aide tend à maigrir, crise financière oblige. Lisez par exemple les cris rageurs des internautes belges après le dernier décaissement de 50 millions d’Euros par la Belgique en faveur du Burundi.

La dure réalité

Cet exemple, ainsi que l’activisme autour de certains thèmes (corruption, sécurité, vie chère et droits d’homme) illustrent comment, progressivement, celui qui au matin du 25 mai 2010 était la première force d’opposition a été relégué dans un jeu d’attentisme qui peut lui être fatal.
Car, ce n’est pas le Rwasa des 14,15% aux communales de 2010 (contre 5,43% pour le Frodebu et 3,75% pour le MSD) qui imprime le tempo de la parole et de l’action à l’opposition. C’est Léonce Ngendakumana qui monte en première ligne quand il s’agit de pointer le « jeu biaisé » de la CENI, dénoncer les abus du pouvoir, c’est le MSD qui profite de l’attention des médias internationaux sur le Burundi en fête d’indépendance pour décrier « les dérives dictatoriales du pouvoir », c’est la société civile qui dénonce les atteintes aux droits de l’homme, la corruption, etc.
Dans ce jeu très médiatique, Rwasa est presque comme un infirme : ses doléances sont portées par ses copains de la coalition. Lui, « le pauvre déshérité », il attend que ses amis de l’ADC l’aident à ce qu’on lui rende son parti …

Comme le soulignent plusieurs observateurs, en adhérant à une coalition dont il ne maîtrisait pas les rouages, l’aura symbolique d’Agathon Rwasa s’est dilué au profit de l’ADC Ikibiri, de telle sorte que certains parlent même de « suicide politique » du leader historique du FNL. Ses récents propos désavouant « l’ADC qui roule pour les intérêts du Frodebu » sonnent d’ailleurs comme une bien tardive prise de conscience de la situation.

Où je voulais en venir …

Si je me suis permis de broder (de façon osée, c’est vrai, et je m’excuse pour ceux qui n’y ont rien compris) hier, sur une fiction qui met en scène Rwasa et Sinduhije à la conquête du pouvoir dans un binôme calculé, c’était pour mieux mettre en contraste la conséquence logique de 2010 (un FNL qui aurait assumé, depuis, le leadership de l’ADC Ikibiri, compte tenu de sa force sur terrain) et ce qui a été relevé par un confrère. Parlant actuellement d’Agathon Rwasa englué dans l’ADC-Ikibiri, il a décrit un homme « en perte de vitesse. »
Un favori qui « jette l’éponge » (littéralement) pour laisser la place à de seconds couteaux et, du coup, qui place son parti à « abattre » (pour le pouvoir en place, et même d’autres) dans une posture plus qu’inconfortable pour le mandat suivant … C’est un fait rare pour ne pas être souligné.

La gestion des communales

Revenons à 2010, car c’est là où tout se joue, véritablement. Après la contestation des communales, deux alternatives s’offraient à l’opposition.
La première était de se retirer des institutions, quitte à y revenir grâce à la pression de la communauté internationale après de nouvelles élections, et préparer les échéances de 2015. C’est celle qui a été suivie. Avec une inconnue, toutefois : comment convaincre les « amis » du Burundi qu’on était en droit de demander un nouveau scrutin, alors qu’ils avaient avalisé les résultats des communales ? On aura beau épiloguer sur les mécanismes à créer à cette fin, la seule issue possible était le recours aux armes. L’équilibre de la violence (ou de la terreur, c’est selon) entre le pouvoir et l’opposition allait conduire les diplomates à réévaluer les forces de pression en présence, et les pousser, à coup sûr, vers un arbitrage a minima à la kenyane : c’est à dire le partage du pouvoir.

Même si la communauté internationale entend évidemment faire participer tous les acteurs politiques à la préparation de 2015, la première phase a été très vite décriée : que ce soit les Nations Unies, la France, les États-Unis et surtout la Belgique, la réponse a rapidement pris forme : « Oui » au dialogue politique au Burundi, à condition que « l’opposition rejette formellement l’usage de la violence, le pouvoir aussi. »
Alors que le pouvoir mâtait dans la douleur et le sang cette option, l’ancien chef d’État Pierre Buyoya qu’on ne peut soupçonner de néophyte dans ce marécage de la politique burundaise, résumera laconiquement la situation par : « Les temps ont changé ! »

La seconde réponse aux communales de 2010 eût été de rester dans le jeu, et de préparer, de l’intérieur, le changement.

La sécurité des leaders en question …

Évidemment, face à la cette seconde option, l’on brandira la question de la sécurité des opposants. Deux approches : l’une consiste à penser que, tous comptes faits, faire de la politique est avant tout question de contact. Un leader qui subit au jour le jour les intimidations, les pressions, qui bataille avec la peur comme un quelconque membre de son parti, ne tire que plus de légitimité symbolique dans sa lutte. Si cela n’était pas le cas, l’Afrique, le monde, n’auraient pas eu Robben Island. Mandela se serait enfui à La Havane pour écrire tranquillement ses poèmes de sédition contre l’aparthied. Martin Luther King aurait probablement prononcé son « I Have a Dream » sur des percussions enfumées de Bob Marley, à Kingston. Václav Havel aurait téléguidé le décembre hongrois de 1989 à partir d’un paisible village français, et même qu’Aung San Suu Kyi se serait déployée à Londres pour éviter les griffes de la junte birmane … Voilà ce que nous apprennent des personnalités comme celles-là, qui ne sont pourtant pas des novices en politique, alors qu’ils avaient parfois des appareils étatiques particulièrement durs, féroces mêmes.

L’autre réponse, à « cette peur pour sa vie », aurait été, justement, de quitter le Burundi, mais en laissant derrière près 35 élus au Parlement (une source de financement non négligeable – près de 200 millions de Fbu sur 5 ans). Et de l’extérieur, se préparer à rentrer pour préparer le « coup » de 2015. Pour un leader politique de la trempe de Rwasa, quitter le pays sans laisser de structure autonome (politiquement et financièrement) qui prépare son retour (ce qui donne, de façon plus terre-à-terre, l’opportunité à ses membres de faire vivre leurs familles, et on sait de quel poids symbolique cela pèse ) est l’un des reflet du traditionnel « Moi ou rien ! » de la politique burundaise.

Imaginez-vous, un seul instant, si l’opposition siégeait actuellement au Parlement.

Imaginez, par exemple, le capital de sympathie de l’opinion publique (rurale et urbaine) pour un Agathon Rwasa, à la tête des élus de l’opposition, qui, un midi d’un certain mois de 2012, organise une conférence de presse pour dénoncer la corruption à la base (exemples à l’appui), ainsi que la hausse des prix du haricot et du manioc, dans l’optique de 2015.
Imaginez les pressions sur le Cndd-Fdd qui aurait, nécessairement, appris à composer avec cet adversaire, imaginez des lois discutées, des ministres convoqués par les honorables, des motions de censure, etc, bref, tout le tintamarre que font les démocraties en grande forme.
Imaginez les débats houleux, les rixes verbales, les joutes oratoires, les saillies piquées ça et là entre porte-paroles des deux camps, présidents des partis; imaginez des synergies de médias pour mieux tirer au clair la position des uns et des autres sur des questions cruciales comme la productivité agricole au Burundi, la question de l’eau, l’énergie, les cannes à sucre de la Sosumo, les poissons du Tanganyika, l’épineuse (je me demande pourquoi on en parle si peu, d’ailleurs) problématique de la gestion des déchets au Burundi, la dépouille mortelle de Mwambutsa IV, le buste vivant de Rwagasore, etc …
Tout cela, en place et lieu des décomptes macabres que nous vivons, presque quotidiennement, depuis des mois.

Une erreur magistrale

Or, depuis 2010, le nom d’Agathon Rwasa s’est embourbé dans une histoire de rebellions, à l’Est de la RDC, ou au Burundi. On lui a même joint celui d’Alexis Sinduhije. Sauf que les relais de pression médiatique et diplomatique de ce dernier ont su contenir ces accusations, faisant apparaître, 50 ans après, jour pour jour, le patron du MSD comme le digne successeur du Prince Louis Rwagasore, « un héraut de la vraie démocratie. »

Deux ans plus tard, Rwasa semble réaliser qu’en politique, point d’amis : que d’intérêts. Un principe élémentaire, pourtant. Nul ne t’apportera la victoire si tu ne vas la chercher. Le Frodebu ? En douce, il est heureux de pouvoir repartir à la conquête d’un électorat dont les premières lignes lui avaient tourné le dos pour le FNL en 2010 (le cas de Bujumbura Rural) après avoir majoritairement voté pour le parti au coq en 2005 (et surtout 1993), sur conseil … de l’ex-Palipehutu-FNL ! Le MSD ? Non plus, l’une de ses bêtes à écarter étant l’Uprona, auquel il faut arracher le vote urbain et bourgeois. Et puis la petite séquence télévisuelle sur la RTBF montre que dès que l’occasion se présente, on oublie un peu ces histoires d’ADC … Tout en dentelle. L’UPD ? Quel poids pèse-t-il vraiment dans l’opinion ?

Toute une série d’éléments qui permettent d’affirmer qu’en quittant le jeu politique institutionnel (certes potentiellement violent) alors qu’il en était le grand challenger pour l’étape suivante, Agathon Rwasa a marqué l’histoire du Burundi par une erreur politique magistrale. Car il avait justement une occasion inouïe, de nous rappeler qu’au bout du compte, la politique (et c’est partout au monde), dans sa mise en pratique, reste fondamentalement un « jeu » (à l’image de ma nouvelle).
Ce que n’ont toujours pas compris certains.

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