Voici ce qui se passa, quelques temps avant les élections de 2015 … Cela est raconté dans une nouvelle (un récit mêlant fiction et faits réels).
2014. Il ne reste plus qu’une année, pour le prochain rendez-vous des urnes. Agathon Rwasa est assis dans la maison familiale de Kiremba. Il fait sombre. Il est seul. Il médite.
A 51 ans, l’ancien chef rebelle contemple, sur cette colline du nord du pays où il vient souvent rendre visite à sa mère, le tableau de son ascension politique. Quatre ans après les houles de 2010, il a su créer une solide opposition parlementaire, rodée à l’étude des lois et aux jongleries médiatiques. Ils sont 28, officiellement, députés et sénateurs. Officieusement, deux dizaines d’autres sont prêts à rallier à l’orée de 2015 le FNL, en provenance du parti présidentiel.
Côté « image », l’ex-Palipehutu a su se dépoussiérer du fumet désagréable de « bande d’extrémistes » que les années du maquis lui ont collé, grâce, c’est vrai, au très bon relais des quatre ambassadeurs et onze conseillers diplomatiques dans les grandes capitales qui appuient le processus démocratique du Burundi. Les médias qui ressassent, depuis 2006, des membres du FNL tués par le pouvoir y sont aussi pour grand chose : grâce à ce décompte macabre et implacable, le FNL a acquis l’image d’un parti de martyrs, prônant « la non-violence contre la barbarie cndd-fddiste. »
Ses conseillers le lui répètent : « La population espère un vrai changement, car la vie chère et la corruption pèsent sur le moral de l’opinion, en défaveur du Cndd-Fdd. » Ils ont beau se contorsionner dans des explications plus invraisemblables les unes que les autres, très difficile aux seigneurs du parti à l’aigle d’expliquer ces signes apparents de richesse (des habitations et des voitures pour des centaines de millions de Fbu, des concubines, des maîtresses, des soirées répétitives dans les bars les plus coûteux du pays, etc) …, signes qui vont droit aux ventres creux de ces « milliers de Burundais qui observent. »
« Heureusement qu’ils ont Nkurunziza », maugrée-t-il, leur pion principal dans la mobilisation des foules, reconnaît-il. Ici, Rwasa pense à la campagne » 50 années, 50 œuvres « , pour laquelle l’autre fils de Ngozi a avalé collines, poussière, et des centaines de kilomètres, pour célébrer officiellement les 50 ans d’indépendance du pays. En réalité, estime le patron des FNL, « ce fut un bon baromètre pour tester la solidité de sa popularité dans la campagne. » Et surtout, « mesurer ce qui va symboliquement rester de lui après son règne dans l’imaginaire populaire. Et là il a réussit, plus que quiconque auparavant, Rwagasore exclu. »
L’homme se cale plus confortablement dans la chaise en rotin, ferme les yeux. Son portable vibre. E.M vient de lui envoyer un sms : « La campagne de contre-propagande marche, chef ! » Ses lieutenants le rassurent hebdomadairement, à chaque fois que ses élus reviennent des collines dans les jeeps de parlementaires.
En 2010, à tort ou à raison, il avait eu 14,15%. En 2015, Agathon prévoit au minimum, sur terrain, 35%. Non-négociables : des membres (très ciblés) ont déjà commencé à suivre des formations pointues dans le suivi des scrutins, et le relais de l’information en période électorale.
Il se palpe sa calvitie (qui se prononce de plus en plus). Soupire : actuellement, son vrai problème est au niveau des alliances : « Comment vais-je gouverner avec Alexis Sinduhije? », se demande le natif de Mwumba.
Le deal
Quatre ans auparavant. Aux lendemains des communales du 24 mai, après les protestations et les menaces de se retirer du processus électoral, les deux partis ont décidé de se replacer dans le jeu, avec un accord secret. Pour « préparer l’accession au pouvoir dans la durée », dixit un diplomate blanc, favorable au départ du Cndd-Fdd, car « la démocratie n’est vraiment réelle que quand l’alternance est possible en pensées et en actes. » Malheureusement, il n’est plus au Burundi, cet ami de circonstance, auquel il avait servi du thé un soir qu’il était venu le voir dans sa résidence de Kiriri, faute de lui offrir du champagne (pas d’alcool dans son entourage, hein ?, sa foi le lui interdit !)
C’est donc suite à cette longue conversation qu’en fin politique, Rwasa s’était décidé de choisir un partenaire face à la machine ‘dd’ : Sinduhije.
Oh ! Ce n’est pas parce qu’ils sont trop copains. Juste de la simple et « sale » arithmétique électorale.
De façon schématique, le fondateur de la RPA a hérité de tout ce qui est « petite et grande bourgeoisie », avec comme quartier général Bujumbura et les réseaux sociaux. Tandis qu’Agathon, c’est à Ngozi, Bujumbura Rural, Cibitoke et Rumonge qu’il compte établir ses bases arrières pour étouffer le Cndd-Fdd dans les campagnes. Silencieusement.
Il sait que la politique burundaise, depuis 1993, se joue de « porte à porte ». Inzu ku nzu, en kirundi. Loin des tintamarres de la capitale. C’est là qu’il faut faire le plein de voix. Au besoin, on s’appuie sur les démobilisés, pour établir dans certains coins l’équilibre de la terreur face aux Imbonerakure trop provocateurs. Tant qu’à montrer les muscles …
Mais revenons au garçon de Kamenge. Parbleu !, il ne se débrouille pas mal : en roublard de la com, il a su bâtir une image de gestionnaire modèle en rendant Bujumbura propre, en faisant venir (grâce à ses incroyables réseaux dans les ONG, ambassades, médias étrangers) des conseillers de Belgique, de France et des USA qui spectaculairement amélioré la sécurité, la propreté et la circulation dans la capitale. La ville est éclairée le soir grâce aux lampes à énergie solaire, des hôtels ont poussé comme champignons, des stars de la musique régionale et américaine sont passées à Bujumbura, il y a désormais quatre festivals, et même un McDo ouvre ses portes en septembre. Le nombre de touristes dans la capitale burundaise a triplé en quatre ans, alors que le banditisme a été réduit de moitié. De Bukavu, de Kigali, de Lubumbashi, on vient passer ses vacances, et même ses weekends à Buja.
Et tous ceux qui repartent de Bujumbura vers l’intérieur du pays ou les pays limitrophes apportent dans leurs hameaux la bonne nouvelle : « Manuka i Bujumbura murabe ingene Sinduhije yahahinduye mu myaka ine! » – Descendez à Bujumbura voir comment Sinduhije a changé la ville, en quatre ans seulement. Et le message passe …
L’ombre de l’ancien journaliste risque de le couvrir, s’il ne se bouge.
La question des voix
C’était l’objet du deal : après les communales, le MSD a bénéficié du report de toutes les voix du FNL, de l’UPD, du Frodebu et du Cndd (ces partis étant réunis dans l’ADC-Ikibiri) dans les communes urbaines où il était en ballottage favorable. Ce qui fait qu’Alexis « contrôle » Musaga (9 voix d’élus communaux favorables sur 15), Nyakabiga (9), Rohero (11), Bwiza (10), Cibitoke (12) et Gihosha (10). A Kanyosha, Kinama et Kamenge, le FNL a en retour reçu le report des voix des autres partis de la coalition. Même qu’à Ngagara les élus Uprona ont préféré donner leurs voix au MSD.
L’ADC ? Agathon sait très exactement ce qu’il entend de l’aventure : « Un espace qui nous permet de gérer les susceptibilités des ‘vieux’ (compétents, par ailleurs, reconnaît-il) du Frodebu qui savent, malgré eux, que la grande aventure politique en solo est terminée, et des transfuges de l’UPD venus du Cndd-Fdd. On ne sait jamais avec des gens pareils! », a-t-il signifié dès mai 2010 à sa garde rapprochée.
Il sait, des années passées dans les hauteurs de Bujumbura, qu’on ne peut, en politique, que croire au plus en une personne dans un projet de cette ampleur. Et même-là … Et cette personne-là, c’est Alexis. Point barre. Question de pragmatisme. Grâce à la sensibilisation du public citadin par les médias (quelle aubaine !) sur des thèmes portés par l’opposition comme la lutte contre la corruption, la vie chère et les violations des droits de l’homme, Alexis lui aussi prévoit autour de 15% en 2015. A eux deux, ils sauront imposer leur majorité sur le reste des partis de l’opposition comme le Frodebu, qui table autour de 10%, l’UPD 5%. Un mouvement de victoire qui va s’amplifier dans le premier trimestre de l’année prochaine, prévoit-il.
Pour le moment, Rwasa ouvre sa Bible, et relit son verset préféré : « Car l’Éternel, ton Dieu, va te faire entrer dans un bon pays, pays de cours d’eau, de sources et de lacs, qui jaillissent dans les vallées et dans les montagnes … Lorsque tu mangeras et te rassasieras, tu béniras l’Éternel, ton Dieu, pour le bon pays qu’il t’a donné.» ( Deutéronome, 8 : 7-10)
Et cette Isezerano (Promesse) est très proche.
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