Lundi 23 décembre 2024

Politique

Maître Fabien Segatwa : « J’ai survécu parce que j’étais malade »

29/04/2013 et Commentaires fermés sur Maître Fabien Segatwa : « J’ai survécu parce que j’étais malade »

Ce juriste de formation est un rescapé des massacres de 1972. Il avait 25 ans à l’époque des événements.

Fabien Segatwa : « Je suis le seul étudiant hutu resté à l’université dans la crise de 1972 parce que j’étais malade » ©Iwacu
Fabien Segatwa : « Je suis le seul étudiant hutu resté à l’université dans la crise de 1972 parce que j’étais malade » ©Iwacu

Du 31 décembre 1971 au 21 avril 1972, le jeune étudiant en 2ème licence dans la faculté de droit était hospitalisé à la clinique Pince Louis Rwagasore : « J’avais eu un accident sur la RN1 et j’étais blessé au niveau de la jambe gauche. » Le 21 avril 1972, même s’il n’est pas encore guéri, Fabien Segatwa sort de l’hôpital et retourne au campus Mutanga : « J’habitais dans une partie qu’on appelait ’’poulailler’’ parce que les maisons avaient été construites à la hâte. »

Le 29 avril 1972, raconte-t-il, les premiers coups de fusils retentissent. Fabien Segatwa ne sort pas de sa chambre parce qu’il ne parvient pas à marcher : « J’étais avec mon petit frère qui s’occupait de moi. » Dans la foulée, des étudiants disent à Segatwa qu’il y a eu une attaque sans préciser la localité et ceux qui ont attaqué. Le 30 avril, témoigne toujours Fabien Segatwa, tous les fonctionnaires hutu sont arrêtés y compris son cousin qui travaillait à la documentation. Dans la soirée du la même date, poursuit-il, des gendarmes procèdent à l’arrestation des étudiants hutu : « Ils ont d’abord arrêté 4, soupçonnés d’avoir tenté de rejoindre une rébellion au Sud en 1970, ensuite un certain Marc, secrétaire à l’Université du Burundi et enfin tous les étudiants hutu qui pratiquaient l’athlétisme. »

Le 2 mai, 1972, révèle Segatwa, les mêmes gendarmes reviennent. Ils arrêtent 9 étudiants hutu ayant eu la mention distinction dans la faculté de l’économie. Entre le 3 et le 4, témoigne-t-il, les gendarmes accompagnés par les militaires encerclent les auditoires : « Ils ont procédé aux appels nominatifs. Celui qui était appelé entrait directement dans un camion militaire. Ils ont été conduits vers une destination inconnue et ne sont jamais revenus.»
Pour Me Segatwa, tous ceux qui sont arrêtés étaient des Hutu et leurs noms figuraient déjà sur une liste préétablie.

Ramazani Bakari : « Les JRR arrêtaient les hutu et ils ne sont pas revenus » ©Iwacu
Ramazani Bakari : « Les JRR arrêtaient les hutu et ils ne sont pas revenus » ©Iwacu

L’heure de la délation

A partir de ce moment, raconte Segatwa, des étudiants tutsi commencent alors à dénoncer leurs camarades hutu restés au campus: « Les étudiants avaient dressé trois barricades. » Le 6 mai, se souvient Segatwa, ils ont arrêté et tué un étudiant surnommé ‘Monseigneur’ parce qu’il avait fait le grand séminaire.
Le 7 mai, raconte-t-il, son ami surnommé ’Sukisa’ (NDLR, un sobriquet donné aux avions de chasse que Mobutu utilisa pour mâter la rébellion katangaise) qui venait lui rendre visite dans sa chambre est tué par les étudiants vers 22 heures au moment de rentrer. D’autres étudiants qui restaient au campus décident alors de fuir : « Je suis resté avec mon petit frère qui était mon garde-malade parce que je ne parvenais pas à marcher. » D’après ce juriste, la plupart de ces étudiants seront tués dans la Rukoko par l’armée congolaise au moment où ils tentaient de franchir la frontière pour trouver refuge dans ce pays : « Le gouvernement congolais avait envoyé un renfort parce que les autorités burundaises disaient que le pays était attaqué. »

Segatwa se souvient avoir alors vu des avions de combats appelés « SUKISA » qui volaient en rase-motte en faisant beaucoup de bruits et en larguant des bombes. Segatwa affirme que Mena, ambassadeur du Congo à Bujumbura, a alors informé son gouvernement que c’est une guerre civile, qu’il ne fallait pas envoyer les troupes pour une intervention. « Puisque j’étais un seul hutu avec Tharcisse Nyandwi, mon petit frère, c’était alors notre tour d’être tués», raconte-t-il.

Fuir à tout prix

Le 8 mai, dans la matinée, le jeune étudiant envoie un planton pour dire au recteur, un certain Damas, de le déplacer jusqu’à la clinique pour se faire soigner. Le recteur ne s’exécuté pas. Segatwa et son petit-frère décident alors de laisser ce qu’ils avaient dans la chambre et sortent : « Je me déplaçais par béquille. J’ai dit aux étudiants tutsi qui m’interrogeaient que je vais revenir parce que je vais me faire soigner.» A la sortie, Madame Pilard, professeur d’économie à l’Université du Burundi, les déplacent jusqu’à la clinique. Segatwa, se fait soigner. Après les soins, il appelle un taxi qui les dépose au grand séminaire de Bujumbura : « J’ai demandé au recteur de l’époque, Monseigneur Ruhuna d’héberger mon petit frère. Je voulais me diriger à la gendarmerie par ma propre volonté car je voyais que la mort était certaine. »

Néanmoins, poursuit-il, Monseigneur Ruhuna les garde tous les deux et il y avait d’autres personnes qui s’y cachaient.
Une semaine après, se souvient Fabien Segatwa, des militaires, accompagnés par Monseigneur Evariste Ngoyagoye viennent toquer à la porte de sa chambre mais il refuse d’ouvrir. « Ils ont utilisé une clé dite ‘passe-partout’ et ont fait irruption dans la chambre », explique-t-il. Un militaire charge directement son fusil et veut tirer sur Segatwa qui se cachait sous le lit mais il ne tira pas. Après avoir subi un interrogatoire, témoigne Segatwa, ces militaires repartent.

Le courage d’aller voir ses parents

En octobre 1972, Fabien Segatwa et son petit frère décident d’aller saluer leurs parents à Kayanza. D’après Segatwa, une sœur du grand séminaire de Bujumbura lui donne trois laissez-passer : « Ce sont les sœurs Bene Dorothée qui ont assuré notre déplacement jusqu’à la paroisse Rukago et son curé nous a déplacés jusqu’à la maison. » Arrivés chez eux, raconte Segatwa, tout le monde se cache et les cabarets ferment. « Ils avaient peur car ils pensaient que les militaires allaient me chercher et les arrêter. J’étais devenu un danger pour la société », déplore-t-il.

Fabien Segatwa se souvient avoir passé peu de jours à la maison car sa mère lui a demandé de fuir. D’après toujours ce rescapé, le curé de la paroisse Rukago le déplace jusqu’à l’évêché de Ngozi où on se charge de son déplacement jusqu’à Bujumbura. Il retourne encore une fois au grand séminaire de Bujumbura, un lieu qu’on appelait ‘camp de réfugiés’ parce qu’il y avait beaucoup de déplacés hutu.
Segatwa décide alors de quitter le pays mais avant son départ, précise-t-il, Monseigneur Evariste Ngoyagoye l’accompagne à la Cadebu pour retirer ses 12.000Fbu: « Le 19 octobre, une sœur de ce grand séminaire a demandé aux Congolais qui se rendaient dans leur pays de me déplacer à bord de leurs camions et ils ont accepté. » Segatwa franchit alors la frontière en passant par Gatumba.

Arrivé au Congo, Fabien Segatwa loue une maison à Kiliba. Une semaine après, il va à Bukavu, puis à Kinshasa où il parvient à se faire inscrire comme étudiant réfugié. Il décroche alors le diplôme de licence en droit et un autre de licence d’agrément de l’enseignement supérieur. Il enseigne à l’école des protestants pendant trois ans avant d’exercer le métier d’avocat pendant 15 ans. Il reviendra au Burundi en 1990.

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